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mardi, novembre 14, 2006

Être une minorité visible

Pour la deuxième fois de ma vie, j’expérimente ce que c’est qu’être une minorité visible (la première fois, c’était au Burkina Faso). De façon générale, je vis assez bien avec ma peau blanche, mes yeux pers et mes cheveux lisses, même si la plupart des gens ici ont la peau beaucoup plus bronzée que la mienne, les yeux noirs et les cheveux crépus. Mais parce que je suis blanche, parce que je suis visible, parce que je me démarque de la masse, j’attire les regards. Et je dois avouer que, certains jours, bien que rarement heureusement, j’aimerais bien être invisible. Il y a des jours où j’ai l’impression que ma peau n’est pas seulement blanche, mais bien fluorescente, voire phosphorescente. Il y a des jours où j’en ai franchement marre que des hommes, des femmes ou des enfants que je n’ai jamais vus, que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam, me saluent, me crient “Hé ! La blanche!” ou soient parfois impolis. Il y a des jours où je ne peux plus supporter que le fou du quartier, qui vient d’apercevoir ma peau blanche, me crie des injures que je ne comprends pas, mais qui mettent tout le monde mal à l’aise. Il y a des jours où je n’ai qu’une envie, quand un taxi me klaxonne en passant devant moi, comme ça m’arrive plusieurs fois par jour : lui crier que, merde, ce n’est pas parce que mes jambes sont blanches qu’elles ne peuvent pas me porter! Il y a des jours où je ne supporte plus qu’on me vende des carottes, des oignons ou des bananes plantains trois fois le prix habituel seulement parce que, supposément, avec la peau blanche vient un porte-feuille bien garni. Il y a des jours où je n’en peux plus que mon parcours soit parsemé de “toubabous ! toubabous !” Il y a des jours où j’en ai franchement marre que les gens se mettent à rire chaque fois que j’essaie de m’exprimer en bamanan. Il y a des jours où je n’en peux plus que des enfants me suivent subtilement pour toucher un peu mes cheveux de blanche, à mon insu. Il y a des jours où je ne supporte plus que des bébés éclatent en larmes ou mettent les mains devant leurs yeux, complètement effrayés, en voyant ma peau blanche. Il y a des jours où je ne supporte plus que des femmes scrutent de haut en bas et de long en large mon corps de blanche, mes habits d’occidentales.

Il y a des jours où j’aimerais bien, moi aussi, avoir la peau noire comme l’ébène, des lèvres charnues, des yeux noirs et des cheveux crépus et tressés. Il y a des jours où j’aimerais bien moi aussi avoir une garde-robe composée exclusivement de robes faites de pagnes et de bazins (deux sortes de tissus très utilisés ici). Il y a des jours où j’aimerais bien moi aussi parler bamanan sans accent. Il y a des jours où j’aimerais bien, moi aussi, passer inaperçue.

Si des jours comme ceux-là sont assez rares, fort heureusement, je dois tout de même avouer que, le soir, quand je reviens du travail, je m’empêche parfois de ressortir parce que je ne me sens pas la force de supporter encore le regard des gens sur moi. Je ne sais pas toujours comment réagir à toute cette attention portée sur moi, et parfois, ça me pousse à me terrer à la maison. Nombreuses sont les situations dans lesquelles je ne sais pas comment agir, je ne sais pas comment réagir, et quand je suis fatiguée de me poser la question, je préfère rester tranquillement chez moi. Heureusement, fort heureusement, ces moments de grande lassitude surviennent rarement...

2 Commentaires:

  • Cela me fait penser à une discussion avec une amie aud-africaine ici. Je lui parlais de mon expérience au Ghana, et lui exposait dans les côtés négatifs pas mal ce que tu viens d'écrire. Elle m'a alors dit (et au fond j'aurais pu y penser avant mais ça ne m'avait jamais traversé l'esprit) que dans plusieurs pays africains, les gens étaient souvent curieux des blancs, mais ceux qui dérangent le plus, ce sont les africains provenant de d'autres pays.

    En Afrique du Sud par exemple, ce sont les gens du Zimbabwe et du Botswana qui sont le plus discriminés. Soit, en étant blanc on attire l'attention, mais on fait quand même partie d'une catégorie à part (encore une fois comme au Japon..), on ne vient pas "voler leurs jobs".

    Mais je ne dis pas ça pour minimiser tes commentiares négatifs, je m'en rapelle trop clairement pour ça!

    Par Blogger Julie, le mardi, 14 novembre, 2006  

  • C'est intéressant, ça, quand tu dis que les africains d'autres pays dérangent davantage que les blancs... Comme quoi le racisme, partout dans le monde, ça part de la même peur qu'un jour peut-être je perdrai mon emploi, remplacée par un immigrant plus qualifié que moi... C'est très intéressant, ça, et je n'y aurais pas pensé, vraiment !

    Comme tu parles du Japon, qui sont là-bas les voleurs de jobs ? Les Chinois ?...

    Parlant des Chinois, je ferai peut-être un billet là-dessus éventuellement, mais c'est intéressant de constater qu'on a ici le même discours qu'au Canada par rapport eux : on dit des Chinois qu'ils acceptent des salaires tellement minimes, qu'ils produisent à prix tellement bas, qu'aucun africain ne peut les concurrencer ! Et pourtant, Dieu sait que le salaire moyen au Mali est franchement bas !!

    Par Blogger Johanne, le mercredi, 15 novembre, 2006  

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