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jeudi, novembre 09, 2006

Une intrus dans la cuisine

Dimanche dernier, Mme Coulibaly, une voisine, est venue chez nous, accompagnée de sa soeur et de la petite Mariam. Mais j’étais partie faire un petit tour au cybercafé, tandis que Nathalie était couchée dans sa chambre. Les femmes n’ont donc pas osé frapper à la porte de la chambre de Nathalie. Mais nous avons une maison fraîche, bien ventilée. Elles se sont donc couchées un peu sur le plancher de la cuisine, sous le ventilo, pour profiter de la fraîcheur de notre maison. Puis Nathalie s’est levée, elles ont discuté un peu puis les deux soeurs sont reparties chez elles. Mais comme la petite Mariam s’était, quant à elle, endormie sur le plancher frais, les deux femmes l’ont laissée dormir là. Quand je suis rentrée, j’ai vu la fillette d’à peine 3 ans couchée sur le plancher, couverte d’un foulard, et c’est alors que Nathalie m’a expliquée toute l’histoire. Elle est ensuite sortie à son tour, et je suis restée dans la cuisine toute seule à regarder la petite Mariam (pour voir des photos de la petite Mariam qui dort sur le plancher de la cuisine, c'est ici, ici, ici, ici, ici et ici).

J’ai alors essayé d’imaginer une situation semblable au Canada. Ce qui m’amène à dire que la façon dont on élève les enfants en Afrique et la façon dont on élève les enfants au Canada sont à 100 mille lieus l’une de l’autre. En Afrique, quand un enfant naît, il appartient dès lors non pas à ses deux parents, mais à la société. Ainsi, il n’est pas rare de voir un enfant d’à peine 3 ans, comme la petite Mariam par exemple, se balader seul, ou avec des enfants plus âgés, dans la rue, sans adulte tout près. Ce n’est pas que les adultes africains ne tiennent pas à leurs enfants ou sont complètement insouciants. C’est qu’en fait, l’éducation de chaque enfant est de la responsabilité de chaque personne du quartier. Chaque adulte d’un quartier a la responsabilité d’inculquer aux enfants qui s’y promènent les bonnes manières. Chaque adulte d’un quartier a le droit de gronder un enfant qui aurait fait un mauvais coup. Et plus souvent qu’autrement, ce sont les enfants eux-mêmes, entre eux, qui se dictent ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire, et qui se grondent. Au bout du compte, chaque enfant acquière non pas des valeurs particulières à ses parents, mais plutôt les valeurs que partage toute une société.

Ainsi, il était tout-à-fait normal pour Mme Coulibaly et sa soeur de laisser la petite Mariam dormir sur le plancher de notre cuisine. Quand la petite s’est réveillée, elle était un peu perdue dans cette cuisine à laquelle elle n’est pas habituée. Je suis donc allée la reconduire chez elle, de l’autre côté de la rue.

Quand même, je savais que même si la petite se réveillait en mon absence, elle saurait retourner chez elle. C’est que les enfants maliens acquièrent très jeunes une grande maturité. Très tôt, ils apprenent à se débrouiller. Ils apprennent à cuisiner, à nettoyer la vaisselle et les vêtements. Et il est normal pour les aînés de s’occuper des plus jeunes. Paradoxalement, alors que les enfants maliens me semblent souvent très matures, ils sont également très obéissants. L’hiérarchie, je l’ai écrit déjà, est fort importante, ici. Si ça a quelques mauvais côtés, ça a également l’avantage que, quand un adulte parle, les enfants écoutent. En tous cas la plupart du temps. Ainsi, si je suis fatiguée de voir des enfants jouer sur ma terrasse, je n’ai qu’à dire un peu fermement “Maintenant, c’est assez, vous partez jouer ailleurs” et tout le monde obéit et part s’amuser ailleurs.

Il est vrai tout de même que, quand les enfants se retrouvent en grand nombre chez nous, il peut arriver que je perde le contrôle et que la situation dégénère. Il y a quelques temps, par exemple, alors que près d’une vingtaine d’enfants s’étaient retrouvés sur ma terrasse, deux petites filles ont commencé à se battre et il a fallu l’intervention de quelques voisins pour les séparer et faire sortir tout le monde. De la même manière, en fin de semaine dernière, quand un petit garçon a mis le feu aux déchets près de chez moi, c’est un voisin qui est entré sur la terrasse et qui a frappé les enfants avec un bâton pour les faire sortir.

Dans un tel cas, j’ai trouvé la méthode un peu exagérée. Mais la fessée, au Mali, est normale et largement acceptée. C’est pourquoi d’ailleurs, quand les enfants se grondent, ils se frappent également, en général. Et quand l’un deux fait un mauvais coup, il arrive qu’ils me demandent de le frapper. Mais chez nous, ils savent maintenant qu’il est interdit de se battre et qu’il est interdit de frapper. Nous sommes au Mali d’accord, mais nous ne sommes pas dans l’obligation d’adhérer à toutes ses traditions !

2 Commentaires:

  • Fascinante analyse..

    Et sur un plan beaucoup moins profond, coudonc, elle est donc ben grande ta cuisine!

    Par Blogger Julie, le vendredi, 10 novembre, 2006  

  • Bon, je suis contente que tu parles d'"analyse", car je n'aurais pas voulu avoir l'air d'idéaliser la façon dont on élève les enfants ici. Le résultat se réflète, au bout du compte, dans la société entière, mais ça amène du bon, comme du mauvais, comme au Canada d'ailleurs. Et puis comme moi-même je n'ai pas d'enfant, je suis mal placée pour juger...

    Quant à ma cuisine, effectivement, elle est assez grande, mais c'était sensé, au départ, être à la fois un salon et une cuisine. Mais comme on n'a rien pour meubler un salon, c'est en fait une cuisine seulement, et puis on s'asseoit sur la terrasse quand on veut relaxer un peu...

    Par Blogger Johanne, le dimanche, 12 novembre, 2006  

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