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vendredi, janvier 19, 2007

Les accommodements raisonnables

J'ai écrit, cette semaine, un court billet sur le port du voile sans savoir qu'au même moment, au Canada, Radio-Canada avait consacré la semaine à des reportages sur les accommodements raisonnables, sans savoir que les résultats d'une enquête sur le racisme des Québécois avaient été publiés récemment.

J'ai lu quelques articles sur le sujet, j'ai lu des commentaires sur des blogues, des lettres d'opinion... Et bizarrement, je ne sais toujours pas où je me situe dans ce débat. Je suis originaire d'un pays occidental à tradition chrétienne, je séjourne dans un pays à majorité musulmane où des pratiques telles que le port du voile, la polygamie et l'excision sont répandues. Quand je dis aux gens ici que ces pratiques sont critiquées au Canada, voir illégales, ils sont surpris, parfois choqués. En effet, les questions de culture, de religion et de tradition, qui souvent se mêlent les unes aux autres, touchent des valeurs profondes. Elles touchent des valeurs souvent acquises dès la tendre enfance et qui nous servent de référence, pour le reste de notre vie, quand vient le temps de juger de ce qui est bien et de ce qui est mal...

Quand on prépare un long séjour dans un pays étranger, on nous parle souvent du choc culturel. On nous avertit que nos propres valeurs, même nos valeurs profondes, seront confrontées, peut-être modifiées. Effectivement, vivre dans un pays où la culture et les traditions sont si différentes de celles auxquelles je suis habituée m'incite à me poser de nombreuses questions. Mes idées sur certains sujets changent. Ou en tous cas, elles deviennent plus nuancées. Je pense à la polygamie, par exemple. Avant de quitter le Canada, j'ai répété à combien de reprises que c'était une pratique incompréhensible pour moi ? Aujourd'hui encore, je trouve que cette pratique place les femmes dans un état d'infériorité... Aujourd'hui encore, c'est une pratique que je m'explique mal... mais qui fait désormais partie de mon quotidien. J'habite une maison construite par un homme polygame, qui a prévu un étage pour chacune de ses femmes. Des patrons, des chefs d'entreprise, des personnes que je côtoie tous les jours sont polygames. Des hommes qui se sont toujours défendus d'être monogames soudainement se remettent en question et envisagent la polygamie, pour diverses raisons. Des femmes encore jeunes acceptent de marier un homme déjà marié. Dans certains cas même, bien que rares, c'est la femme même qui encourage son mari à la polygamie. Enfin, quand j'explique que, pour moi, c'est une pratique incompréhensible, on me répond souvent qu'au Canada, tous ces hommes et ces femmes qui trompent leur conjoint pratiquent eux aussi une forme de polygamie non institutionnalisée... Bref, des arguments nouveaux se présentent à moi et, s'ils ne rendent pas la chose plus acceptable pour moi, ils la rendent en tous cas plus compréhensible...

Malgré mes nombreuses discussions et réflexions sur les différences culturelles, le débat sur les accommodements raisonnables me laisse sans voix. Bizarrement, je me sens plus ou moins concernée par ce débat de société. Pourtant, je baigne chaque jour dans les "accommodements raisonnables" ! Chaque jour, je fais le tri entre les pratiques maliennes acceptables et inacceptables pour moi. Je fais le tri également entre les pratiques canadiennes que je souhaite conservées coûte que coûte, et celles qui soudainement me paraissent incongrues. Chaque jour, je remets en question des pratiques, des traditions, des valeurs maliennes, chaque jour, je remets en question des pratiques, des traditions, des valeurs canadiennes. Cette réflexion s'accompagne de nombreuses discussions avec mon entourage (des Maliens, des Africains vivant au Canada, des Canadiens vivant au Mali ou au Canada). Mais cette réflexion demeure, au bout du compte, très personnelle...

Je comprends tout de même qu'au Canada, le débat soit devenu social. Comment faire autrement quand un groupe impose des contraintes à un autre groupe qui n'en a rien à foutre ? Ce qui est difficile, au bout du compte, n'est-ce pas de déterminer la limite entre l'acceptable et l'inacceptable ? On fait comment pour trancher ? Quand on sait que même les notions de bien et de mal ne sont pas universelles (le problème de l'excision notamment le montre bien), on réalise qu'en tous cas, la tâche sera difficile !

1 Commentaires:

  • Bonjou Johane,
    Je trouve très intéressant te suivre dans ton voyage au Mali.Tu nous en apprends beaucoup sur les coutumes de ce pays.Je partage un peu ton avis sur les accommodements raisonnables.Quand on chausse les souliers des autres dans diverses situations souvent les préjujés tombent et nous fait voir les choses autrements.Je te félicite et je t`encourage à continuer ce beau travail.

    Par Anonymous Anonyme, le samedi, 03 février, 2007  

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