Entre le monde et l'écran
    Voir le monde
    Comprendre le monde
    Rêver le monde

mercredi, mars 07, 2007

Ousmane et les artistes africains

On me l'avait déjà fait remarquer dans les commentaires de ce blogue, les artistes maliens, voire africains, sont très accessibles. Encore cette semaine, je parlais avec Ousmane, un voisin, quand il s'est mis à parler de Youssou N'Dour, Tiken Jah Fakoly et Salif Keïta, trois artistes africains connus internationalement :

-Youssou N'Dour, c'est mon tonton...
-Ah! bon ? Et comment ça ?
-Il est marié à deux femmes, dont une Malienne... La Malienne, c'est ma tante, ma tantie... Il y a quelques années, il venait souvent à Bamako, et chaque fois, on se voyait...
-Vraiment ?! Tu te moques de moi ! Je gage que s'il passait ici aujourd'hui, il ne te reconnaîtrait pas...
-Ca fait six ans qu'on ne s'est pas vus. Mais s'il passait, il saurait me reconnaître. On se connaît très bien...
-Eh ! bin, et Tiken Jah... ?
-Il est passé me voir justement hier soir à ma boutique...

Pour preuve, Ousmane sort de sa poche une photo de lui et de Tiken Jah...

-Tu l'as connu comment ?
-Il y a quelques années, on a fait une semaine dans le même hôtel à Lomé (au Togo)... Nous étions plusieurs Maliens là-bas. D'ailleurs, il a payé les chambres de tout le monde. Depuis, on se voit régulièrement... Et puis, c'est un enfant du quartier...
-Il est Ivoirien, non ?
-Oui, mais il est Mandingue... Fakoly... C'est un Doumbia, comme toi...

En effet, Fakoly est l'ancêtre des Doumbia, en quelque sorte. Il y a plusieurs siècles, le lieutenant Fakoly a réussi à renverser Soumaoro Kanté et à installer Soundjata Keïta à la tête de l'empire mandingue... Maintenant, pourquoi dit-on que cet Ivoirien est en fait un "enfant du quartier" ? Ce qu'il faut savoir, c'est que les Maliens restent très attachés aux traditions et à l'histoire. Ainsi, ils sont Mandingues avant d'être Maliens ou Ivoiriens. Le Mali, la Côte d'Ivoire et tous les pays d'Afrique de l'ouest ont des frontières artificielles créées par les européens vers les années 1960, alors que nombre de pays africains ont acquis leur indépendance. Mais pour les Africains, les véritables frontières sont celles qui ont été créées à la suite de guerres, batailles, etc., et ils restent très attachés à ces frontières...

-Et comment tu connais Salif Keïta ?
-Ma première femme (comprendre "ma première blonde"), c'était sa fille... Mama...
-Pourquoi tu ne l'as pas mariée ?
-Quand on était ensemble, elle est partie pour la France. J'avais un ami là-bas, je l'ai donc mise en contact avec lui... C'est avec lui qu'elle est mariée maintenant...
-Oups...
-Quand même, Salif me connaît très bien...

Ainsi, même sans être un artiste lui-même, même sans baigner dans un univers artistitique, Ousmane connaît très bien plusieurs artistes africains. Et il n'est pas le premier Malien à m'expliquer les liens étroits qui l'unissent à des artistes de renommée internationale.

En fait, je crois que l'accessibilité des artistes maliens s'explique en grande partie par un trait culturel particulier ici : une grande importance est accordée aux liens de parenté. J'ai parlé il y a plusieurs mois maintenant de la plaisanterie à cousinage. Ainsi, par son nom de famille, chaque Malien est le cousin d'un nombre incroyable de personnes. En outre, dans la tradition africaine, on nomme souvent ses tantes "ma mère", ses oncles "mon père", des personnes plus âgées à qui on n'est pourtant pas lié par le sang "tonton" ou "tantie", ses neveux "mes fils", et ses cousins et cousines "mes frères" et "mes soeurs". Au départ, quand on n'y est pas habitué, c'est mélangeant. On a l'impression que les familles sont immenses. Et la polygamie ne fait que compliquer les choses. Mais c'est quand on ose enfin demander "Coudonc, t'as combien de frères et soeurs toi ?" qu'on se rend compte qu'en fait, la plupart des frères et soeurs sont des cousins. Tout de même, cette façon de présenter son entourage crée des liens très forts entre les gens. Comme il est dans la normale des choses au Mali de passer voir régulièrement les membres de sa famille, même élargie, à tout le moins de leur passer un coup de fil, je crois que ça facilite la création de liens étroits entre de nombreux Maliens. Moi-même, depuis que j'ai rencontré la famille Doumbia, avec qui pourtant je n'ai aucun lien de sang, on me demande régulièrement de leur nouvelle, et on s'étonne quand je dis que je n'ai pas parlé aux Doumbia depuis plusieurs jours...

Ainsi, les liens étroits que développent les Maliens entre eux expliquent en partie, à mon avis, la grande accessibilité des artistes maliens...