Entre le monde et l'écran
    Voir le monde
    Comprendre le monde
    Rêver le monde

jeudi, novembre 30, 2006

Être malade au Mali : prise II

D'emblée, je dois le dire : j'espère que mes billets ainsi titrés ne seront pas trop nombreux. Lundi après-midi, alors que je croyais ma grippe quasiment guérie, je me suis mise à faire de la fièvre et à vomir. Le chauffeur d'ONUSIDA m'a reconduite à la maison, où j'ai dormi, dormi et dormi encore... Le lendemain, je suis allée à une clinique beaucoup fréquentée par les toubabs. On m'a dit que la consultation était dispendieuse : 30 000 FCFA (75$CAN), plutôt que les 3000 FCFA (8$CAN) que m'aurait coûtée une consultation à la clinique près de chez moi. Mais on m'a aussi dit que ce médecin avait travaillé au Canada, connaissait bien les Canadiens (et leur système immunitaire), alors franchement, ça me rassurait. Une fois sur place, j'ai d'ailleurs été traitée comme une reine. Après que le médecin m'ait examinée, on est allé m'acheter de quoi déjeuner (des croissants, du pain au raisin, du jus d'oranges pressées : je n'ai pas aussi bien mangé depuis longtemps !), on m'a préparé une chambre et j'ai dormi là-bas toute la journée. Quand je pense à l'état du dispensaire que j'ai visité il y a quelques semaines, je me dis que, vraiment, les systèmes de santé à plusieurs vitesses sont universels ! En fin de journée, on m'a dit qu'en fait, à ma grippe s'était ajouté un petit palu (paludisme ou malaria). Rien de grave heureusement ! J'ai maintenant les médicaments pour me soigner, et bientôt j'irai mieux. Seulement, ça ne pouvait pas plus mal tomber, car aujourd'hui et demain a lieu le lancement de la Campagne nationale de lutte contre le VIH/SIDA, sur lequel je travaille depuis mon arrivée. C'est pourquoi je suis au bureau ce matin, question de régler autant que possible les derniers préparatifs... Mais l'énergie me manque, je dois l'avouer. Et au manque d'énergie s'ajoute la déception : je suis très déçue de ne pas pouvoir participer totalement aux activités d'aujourd'hui et de demain...

À propos de mon dernier billet

J’ai écrit mon dernier billet sans réfléchir, sous l’impulsion du moment. Et je le regrette. Quand je relis ce que j’ai écrit, je crois qu’il n’y a rien de tel pour alimenter les préjugés. En écrivant de façon impulsive, alors que je suis fatiguée et intolérante, en présentant des faits sans les mettre en contexte, je nourris les préjugés envers les musulmans, envers les Africains, envers les Maliens, envers mes collègues de travail… Pourtant, depuis mon arrivée au Mali, je ne cherche pas à creuser les fossés susceptibles d’éloigner les Canadiens et les Maliens, bien au contraire !

Je continue de beaucoup apprécier mon séjour au Mali. Je retrouve chez les Maliens des traits de caractère qui vont beaucoup me manquer à mon retour au Canada. Et puis, quand on sait que plus de la moitié de la population du monde est musulmane, quand on sait que de nombreuses femmes musulmanes ont pu accéder à des postes importants, j’ose croire qu’on retrouve du bon dans cette religion. Ce qu’a dit le marabout, dans la rue où j’habite, mes voisins me l’ont traduit en faisant preuve de beaucoup d’ouverture et de flexibilité. À mon tour, je dois agir ainsi.

Quant à mes collègues, il faut savoir que le travail de certains consiste à rendre service, simplement, quand on a besoin d’eux. Et quand on n’a pas besoin d’eux, ils attendent. Qu’ils attendent en se tournant les pouces, ou qu’ils attendent en jouant au solitaire, vraiment, ça ne change pas grand-chose à ma vie, ni à la vie de qui que ce soit d’ailleurs !

Bref, je regrette vraiment ce que j’ai écrit lundi, et j’espère me racheter en écrivant, à l’avenir, des billets plus nuancés, où je ferai preuve de plus d'ouverture...

lundi, novembre 27, 2006

Un billet retour pour le Canada s.v.p. !

En fin de semaine, un marabout (l'équivalent d'un prêtre chez les chrétiens, avec beaucoup plus de pouvoir) a crié dans un micro, bien installé au milieu de la rue où j'habite, que les femmes ne devraient jamais sortir sans un voile sur la tête, que les femmes ne devraient pas dévoiler leur dos ou leurs jambes, car des cheveux, un dos ou des jambes de femme, ça excite les hommes, et ce n'est pas surprenant qu'ensuite, les hommes trompent leur femme. C'est donc, bien sûr, à cause des femmes, ces vilaines, que les hommes font des bêtises ! Et puis tiens, c'est pas à cause des femmes également qu'il y a le mal sur la terre ?! Sans aucun doute !...

Depuis plus d'une semaine, je traîne avec moi une grippe qui n'en finit plus de finir...

Ce matin, en me rendant au travail, j'ai dû courir pour éviter d'être écrasée par un sotrama, alors que j'essayais de traverser la rue, tandis que le policier responsable de la circulation m'ignorait complètement...

Depuis une semaine, je mets un temps fou à envoyer des courriels pour le travail, soit parce que les serveurs flanchent, soit parce que Internet lui-même coupe...

Quand je planifie des rencontres, il y a toujours la moitié des gens qui ne se présente pas, et l'autre moitié qui vient avec plusieurs minutes de retard...

Comme la plupart des employés de soutien d'ONUSIDA n'ont pas de bureau qui leur est propre, c'est sur mon mini bureau que se retrouvent leurs documents, tasses de café, agrafeuses, ciseaux, etc. C'est aussi sur mon ordinateur qu'ils passent leur temps libre en jouant au solitaire, quand je quitte pour des réunions. Chaque fois, donc, je reviens sur un bureau sans dessus dessous...

Nous sommes lundi, et je viens tout juste de recevoir l'info nécessaire pour l'impression de banderoles et de dépliants qui seront utilisés ce vendredi, 1er décembre, Journée mondiale de lutte contre le VIH/SIDA. Je viens également tout juste de recevoir les pagnes (tissus spéciaux imprimés aux couleurs de la Campagne nationale de lutte contre le VIH/SIDA) avec lesquels je dois me faire coudre des habits d'ici jeudi...

Pour toutes ces raisons, ce matin, vraiment, je prendrais sans hésiter le premier vol vers le Canada ! Heureusement, je sais que ça va passer... Vivement que ce lundi se termine !

L’excision

J’étais à une réunion récemment où un médecin expliquait que 90% des femmes maliennes étaient excisées. Le hasard a fait que le sujet s’est glissé à nouveau dans l’une de mes discussions avec notre gardien David. En fait, le sujet ne s’est pas seulement glissé dans la conversation : il m’est sauté au visage, comme une mauvaise surprise. J’étais d’abord surprise qu’un Malien aborde si facilement avec moi ce sujet à priori tabou. Surprise également des arguments qu’il m’a avancé pour défendre la pratique de l’excision. Surprise enfin de ne pas avoir été capable de pousser la conservation, trop touchée que j’étais. Alors que j’aime bien creuser les sujets, poser des questions, cette fois, je me suis tue. Le sujet m’a en effet donné froid dans le dos. Mais il m’a au moins permis de mieux prendre conscience de la profondeur du fossé parfois creusé par les différences culturelles… En surfant un peu sur Internet, j’ai constaté que le sujet est revenu également dans l’actualité récemment, quand Michaëlle Jean s’est adressée aux députés maliens à l’Assemblée nationale. On dit que ça a créé un froid au sein de l’assemblée...

En fait, j’ai parlé d’excision avec David au même moment où il m’a parlé de la dame d’à côté qui s’était fait battre. En comparant les habitudes au Mali (où il est plus ou moins normal pour un homme de battre une femme) et celles au Canada (où il est inacceptable pour un homme de battre sa femme), David m’a dit qu’il y avait certaines traditions comme celles-là que les blancs n’arrivaient pas à comprendre. C’est à ce moment qu’il m’a parlé d’un projet sur lequel le CECI a travaillé déjà (David a été gardien, dans le passé, pour le CECI) et qui visait à lutter contre l’excision, qu’on appelle également “mutilation génitale féminine”.

L’excision, en fait, c’est quoi ? Les Maliens la comparent parfois à la circoncision. En fait, exciser une fille, c’est couper son clitoris pour le rendre insensible, et c’est parfois aussi coudre ses petites lèvres. Dans les cas extrêmes, on va tout couper, pour ne laisser, au bout du compte, tout juste un peu d’espace pour les menstruations et les relations sexuelles. Je résume grossièrement, il faut m’en excuser, je ne suis pas une spécialiste de la question, loin de là.

Traditionnellement, l’excision, comme la circonsion, sont pratiquées sur des enfants ou des adolescents, en groupe. Le tout est fait à froid, sans anesthésie. Au Mali, ces pratiques sont parfois considérées comme des rites de passage. L’enfant circonsis ou excisé doit faire preuve de courage, et plus il sait résister à la douleur, sans crier, sans pleurer, plus on dira de lui ou d’elle qu’il est courageux. D’ailleurs, selon David, un garçon qui n’est pas encore circonsis passé un certain âge risque d'être ridiculisé par ses camarades. Pour un Malien ou une Malienne, la circoncision et l’excision contribuent ainsi à son honneur.

Désormais, le tout est fait de façon un peu plus cachée, puisque de plus en plus d’ONG et d’organisations internationales essaient de convaincre les Maliens que l’excision, c’est mal. Ce qui fait que l’excision choque les idées occidentales davantage que la circoncision, c’est peut-être parce qu’il s’agit d’un moyen parmi d’autres pour les hommes d’exercer un contrôle sur les femmes. En effet, David m’a expliqué qu’on disait d’une femme non excisée qu’elle était trop amoureuse. “Mais, j’ai dit, qu’est-ce qu’il y a de mal à être trop amoureuse?
-Bien, m’a dit David, une femme trop amoureuse ne se contentera pas de son mari. Elle voudra aller voir ailleurs.” Autrement dit, une femme trop amoureuse, c’est une femme chaude qui risque de tromper son mari. L’excision, en ce sens, est une façon pour les hommes de contrôler un peu plus les femmes.

Cependant, là où ça devient compliqué, c’est quand on sait que l’excision, en fait, est effectuée par les femmes elles-mêmes, souvent sous la pression des grand-mamans des petites filles. Sous cette pression, il y a tout le poids de la tradition... Mais sous le poids de la tradition, il y a quoi ?...

vendredi, novembre 24, 2006

La gouverneure générale est en ville !


Mercredi soir est arrivée à Bamako Michaëlle Jean, la gouverneure générale du Canada. Toute la journée, on m'a dit "Il y a ton président qui arrive en ville", et toute la journée j'ai répété "Elle n'est pas présidente, elle est gouverneure générale". Toute la journée on m'a dit "Elle doit nous annoncer beaucoup d'argent" et toute la journée j'ai répété "Mais elle n'a pas ce pouvoir ! Elle n'a d'ailleurs aucun pouvoir réel, si ce n'est qu'à cause de sa visibilité... Mais elle n'a pas la main sur l'argent"... Le tout est tourné un peu à la blague quand mes collègues ont commencé à me faire la liste de ce qu'ils aimeraient avoir : "Il faut demander deux motos pour moi... Pour moi, une belle petite 4x4 bleue... Pour elle, une Mercedes..."

En fait, toute la journée, Bamako s'est préparée à l'arrivée de Mme Jean. Dès le matin, le responsable de la sécurité où je travaille a suggéré aux employés d'être vigilants dans la planification de leurs déplacements, car de nombreuses routes seraient bloquées lors de son arrivée, d'abord prévue pour la fin de l'avant-midi. Mais c'est en fait en fin de journée seulement qu'elle est arrivée, poussant les employés, qui voulaient éviter les embouteillages monstres, à quitter plus tôt. En effet, à l'arrivée d'un dignitaire à Bamako, on n'hésite pas à fermer toutes les routes où il passera pour permettre au dignitaire en question de circuler sans difficulté. Les élèves ont également terminé l'école plus tôt : ce sont eux qui se sont retrouvés sur le bord des routes, tout le long du parcours emprunté par la gouverneure générale, question de bien l'accueillir.

Pour ma part, je me suis retrouvée au centre-ville, après mon travail, juste avant son passage par là. J'ai donc attendu un peu le cortège depuis le rond-point de l'Indépendance. Il y avait là une foule d'enfants avec dans les mains des drapeaux canadiens et maliens. Puis des soldats sont passés et ont encouragé les enfants à chanter, à applaudir, à danser... Il y avait là également des joueurs de djembés. Bref, il y avait beaucoup d'ambiance.

Puis le cortège est arrivé, entouré de nombreux policiers en camion, en motos, en voiture, etc. Michaëlle Jean et le président du pays, Amadou Toumani Touré, étaient dans un 4x4, la tête sortie par le toit ouvrant, et ils dansaient. Quand ils ont été passés, les enfants ont envahi les rues, et peu à peu, la circulation a pu reprendre. C'était un peu comme la St-Jean-Baptiste à Québec, version un peu moins bordélique, et surtout pas du tout alcoolisée.

Si l'ambiance était bonne, toute cette journée m'a laissée une drôle d'impression, compte tenu des attentes de mes collègues maliens, qui espèrent, avec la venue de Michaëlle Jean au Mali, une pluie d'argent. Quand j'ai vu les enfants, le soir, chanter sur le bord des routes, un collègue m'a dit qu'en voyant tous ces enfants, "l'avenir du Mali", la gouverneure générale ne pouvait qu'être touchée et avoir ainsi envie de verser pour eux des tonnes d'argent. Bref, le Mali est dans l'attente.

C'est là d'ailleurs, à mon avis, l'un des plus grands dommages causés par l'aide au développement. Trop de gens en Afrique ne se demandent plus comment ils pourraient "créer" l'argent, soit par l'investissement, l'innovation ou la création d'entreprise. Plutôt, ils se demandent "Comment faire pour obtenir une subvention de l'ACDI (Agence canadienne de développement international)?" Pire encore, je remarque que de nombreux maliens ont développé une très faible estime d'eux-mêmes et qu'ils ont beaucoup tendance à se dévaloriser. Par exemple, un malien me disait récemment : "Tu donnes un objet à un blanc, il va le transformer, en faire quelque chose d'utile qui, au bout du compte, va lui rapporter beaucoup d'argent. Tu donnes le même objet à un noir, et si tu reviens un an plus tard, tu trouveras le noir toujours assis avec le même objet, inchangé, dans les mains."

Aller chercher l'argent ailleurs est plus facile que de le créer. C'est l'option malheureusement privilégiée par trop d'Africains. Et les blancs ont leur tort dans tout ça, un très grand tort, puisque ce sont eux d'abord qui sont venus en Afrique pour exploiter les richesses, pour exploiter les gens, et les rendre dépendants, et leur faire perdre leur autonomie. Cependant, si je sais reconnaître le tort des blancs dans tout ça, je crois maintenant que les Africains ont également un rôle à jouer dans le développement de leurs pays, et pour ce faire, ils dovient d'abord modifier un peu leur façon de percevoir la "création de richesses"... Pour trop d'Africains encore, le seul moyen de devenir riche est de demander de l'argent aux blancs...

jeudi, novembre 23, 2006

Faire le lavage prise III

Est-ce que j'ai écrit déjà que j'avais finalement réglé mon problème de lessive ? Eh ! bin oui. J'ai enfin trouvé, tout près de chez moi, une dame qui nettoie mes vêtements, alors que son mari les repasse avec son fer à repasser chauffé au charbon, façon 19e siècle. Pour 100 FCFA (0,25$CAN) du morceau, ça ne vaut pas la peine de s'éreinter, surtout que chaque fois que je passe par là, j'ai droit en prime à une petite leçon de bamanan et à un petit verre de thé bien sucré, gracieuseté de monsieurs qui sont toujours en train de bavarder dans le coin...

Un sujet universel : les relations hommes-femmes

Pas plus tard que mardi, j’écrivais qu’il me manquait certains éléments pour bien comprendre pourquoi, d’un côté, les Maliens disent vouer un grand respect envers les femmes et, d’un autre côté, il est presque socialement accepté qu’un mari batte sa femme. Mais déjà, en début de semaine, quelques éléments susceptibles d’éclairer le sujet me sont apparus.

En effet, plus tôt cette semaine, un ami malien qui habite le quartier est venu faire un tour à la maison, comme il le fait plusieurs fois par semaine, question de s'assurer qu'on ne se sent pas trop perdues dans ce pays si différent du Canada. Puis un autre ami malien, que Nathalie a connu alors qu’il étudiait au Canada, est arrivé, accompagné de sa copine et d’un ami. Ils sont tous partis ensemble prendre un verre en ville. Tandis que je les regardais partir du pas de la porte avec notre gardien David, ce dernier m’a dit : “Maintenant, moi, bon, il y a quelque chose que je comprends pas. L’ami de Nathalie, c’est lequel des deux ?”

Parce qu’on utilise souvent, ici, le mot “ami” avec un sourire plein de sous-entendus, j’ai fini par comprendre qu’au Mali, le mot a deux sens. Il y a les amis qui “ne sont” que des amis, dans le sens où on l’entend au Canada. Et il y a les amis qui sont en fait des amoureux. Quand même, je voulais être certaine de bien comprendre la question de David, alors je lui ai demandé, sans détour : “Bon, David, quand tu parles de l’”ami” de Nathalie, tu parles en fait de son “amoureux”, c’est bien ça?
-Oui, c’est bien ça.
-Eh! bien, ni l’un ni l’autre n’est l’amoureux de Nathalie. Le premier est marié et sa femme vient d’ailleurs d’avoir une petite fille. Le deuxième est un très bon ami de Nathalie, mais il a déjà une amoureuse, et il n’y a absolument rien entre Nathalie et lui.
-Ah! bin ça c’est bizarre…
-Et pourquoi ?
-Bien… Quand un garçon passe plusieurs fois par semaine voir une fille, en général, ça veut dire quelque chose…
-Pourtant, ce ne sont que des amis…”

Mais au Mali, on ne croit pas en l’amitié entre un homme et une femme. L’homme et la femme, c’est comme l’huile et le feu, ça finit toujours par s’enflammer : c’est ce qu’on dit ici. Donc du moment où l’on voit assez régulièrement une fille avec le même garçon, les rumeurs se mettent à courir. Plusieurs personnes du voisinage se sont d’ailleurs informées auprès de David pour savoir qui exactement était avec qui. Comme quoi le potinage aussi, c’est universel !

“Mais, j’ai dit à David, comment peut-on croire que Nathalie est avec l’un d’eux, puisque le premier est marié et nouvellement père de famille, et que le second a déjà une amoureuse ?
-Ah, m’a dit David, ça veut rien dire, ça.”

Il est vrai d’ailleurs que, comme la polygamie est légale au Mali, un homme marié peut très bien continuer de rencontrer d’autres femmes et envisager un jour marier l’une d’elles, tout en restant marié à la première. La polygamie permet d’ailleurs à un homme de marier jusqu’à 4 femmes. Ainsi, qu’un homme porte un anneau au doigt ou pas, ça n’a aucune signification. Sur une femme, qu’elle soit mariée ou pas, plane toujours la menace qu’une nouvelle femme prenne place dans le décor. Il existe toujours la possibilité qu’une nouvelle femme s’installe à la maison. Et même si, en principe, un musulman peut prendre plusieurs femmes que dans la mesure où il saura aimer chacune également, la réalité est souvent bien différente. Il existe d’ailleurs un terme en bamanan qui permet de désigner “la préférée”…

À une Canadienne comme moi qui a beaucoup de mal à concevoir que la polygamie soit légale au Mali, on rétorque souvent que la polygamie est peut-être illégale au Canada, mais que ça ne l’empêche pas d’exister largement, de façon cachée. Ainsi, on me donne souvent l’exemple de tous ces hommes mariés qui prennent une ou des maîtresses, ou de ces femmes mariées qui prennent un ou des amants…

Mais si l’homme malien peut se permettre d’être parfois un peu volage sans se mettre à dos la société entière, sinon sa femme, l’infidélité chez la femme est grandement réprimandée. En effet, dans la tête d’un malien, une femme qui va voir ailleurs court toujours le risque de tomber enceinte d’un autre homme. Or, mettre un enfant au monde, assurer l’avenir familial, c’est un geste d’une grande valeur au Mali… et au contraire, il serait extrêmement humiliant pour un malien de voir sa femme accoucher d’un enfant qui n’est pas de lui. C’est peut-être ce qui explique que certains Maliens exercent un contrôle à outrance sur leur femme. C’est peut-être aussi ce qui explique que certains hommes se permettent de battre leur femme…

Au bout du compte, c’est sur la méfiance que se contruisent bien des couples maliens, semble-t-il...

mercredi, novembre 22, 2006

Les Coulibaly en deuil

Lundi matin, en quittant la maison pour me rendre au travail, j’ai vu que des chaises avaient été installées dans la rue entre la maison des Coulibaly, avec qui Nathalie et moi nous sommes liées d’amitié, et la nôtre. En revenant un peu plus tôt que d’habitude du travail, dans l’après-midi, j’ai dû me faufiler entre des hommes assis sous des tentes, silencieux. Sous les tentes, au milieu de la rue, se trouvaient également de grands tapis, où se sont assis, un peu plus tard, des adolescents. Autour des tentes, la rue était pleine de motos et d’autos. Puis vers 16h30, après la prière, des personnes ont quitté en masse la mosquée et sont allées rejoindre les hommes assis sous les tentes. Les femmes, quant à elles, la tête cachée sous un voile, sont entrées dans la maison des Coulibaly. Partout dans la rue, des hommes étaient assis. La rue, d’habitude si bruyante, est restée ainsi silencieuse de très longues minutes.

Puis un corbillard, une espèce de sotrama noir, est arrivé. En fait, il y a une dizaine de jours, le grand frère Coulibaly, l’aîné de la famille, s’est fait renverser par une moto. Il était dans le coma depuis, à l’hôpital Gabriel-Touré. C’est dans la nuit du dimanche au lundi qu’il est décédé. Lundi en fin d’après-midi, déjà, il était en terre. Selon les prescriptions islamiques, la dépouille d'un défunt doit, en effet, être ensevelie le plus rapidement possible, permettant ainsi de respecter la dignité du défunt. Une fois la personne décédée, on lui ferme les yeux, on fixe sa mâchoire avec un bandage, pour éviter qu’elle ne s’ouvre, puis on pose un objet sur son ventre, afin de l’empêcher de gonfler. Les articulations sont ensuite pliées, pour faciliter l’ablution du corps, et le visage du défunt est dirigé vers La Mecque. Le défunt sera ensuite déshabillé puis lavé, car le corps du défunt doit être purifié sans délai. Chez les musulmans, la mort est en effet étroitement associée à l'impureté. Le corps est donc lavé trois fois, puis essuyé avant d’être enveloppé dans des pièces de tissus blancs.

S’il n’est pas interdit de pleurer, l’expression des émotions doit être discrète, car le défunt est considéré comme un cadeau offert à Dieu. La prière des morts sera effectuée immédiatement après l’ablution et l’habillement obligatoires du défunt. Enfin, le corps est mis directement en terre et un délai supérieur à 48 heures entre la mort et l’enterrement ne peut être dépassé, sauf en cas de force majeure. Généralement, seuls les hommes sont présents lors de l'inhumation. Les femmes se rendent au cimetière le lendemain seulement. Des pierres tombales coûteuses et sophistiquées ou les monuments funéraires ne sont pas autorisées. De même, chez les musulmans, l'incinération est absolument interdite.

Durant les trois jours suivants le décès, la famille reçoit les condoléances. Le visiteur emprunte souvent la formule de politesse : "Que Dieu augmente ta récompense, t'accorde l'endurance et pardonne à ton regretté" à laquelle répond la famille : "Amen, que Dieu te récompense et t'évite tout mal". Ce qui ressemble, en bamanan, à quelque chose comme « Allah ahikala », à quoi les proches du défunt répondent « Amina »… Chez les Coulibaly, la maison est donc pleine, depuis lundi, de la famille venue de partout au pays pour les funérailles. On prépare également beaucoup à manger, trop même, pour nourrir tout le monde. C'est pourquoi d'ailleurs, hier soir, des enfants Coulibaly sont venus porter chez nous un peu de riz, de couscous et de sauce à la viande, comme trop de nourriture avait été préparée, et que les gens commençaient déjà à quitter la maison Coulibaly.

Par ailleurs, il est dit que la première chose à faire par les survivants est de régler les dettes du défunt. Comme il arrive que la famille ne puisse honorer les engagements pris par le défunt ou qu'elle n'ait pas les moyens de pourvoir aux obsèques, la communauté se mobilise et l’aumône est alors considérée comme un mérite pour celui qui l'accorde.

Le deuil s'étend ensuite sur 4 mois et dix jours. Il est symbolisé par le fait de porter la couleur blanche de la tête aux pieds.

Sources :
http://www.islam.ch/typo3/index.php?id=136&L=1
http://www.islam.lu/index.php?option=com_content&task=view&id=5&Itemid=26&lang=fr
http://www.obseques-liberte.com/rites-funeraires-religion/islam.htm

mardi, novembre 21, 2006

Être une femme au Mali

Récemment, je discutais avec notre gardien David, qui me disait avoir entendu une femme crier en pleine rue, vers les 4h du matin. Plusieurs personnes qui se rendaient alors à la mosquée pour la première prière du matin sont allées voir un peu ce qui se passait. Mais le mari de la dame l’a rapidement attrapée par le bras et l’a tirée jusque dans la maison. David ne savait pas exactement ce qui s’était passé, mais il m’a dit qu’il allait se renseigner et m’en donner des nouvelles.

Le lendemain, je m'amusais un peu avec M. Sissoko en discutant des différentes clauses d’un soi-disant “contrat de mariage” :

M. Sissoko : Mariam, tu aimes le Nescafé ?! À partir de maintenant, je t’interdis de boire le Nescafé !
Moi : Ah ! bon, pourquoi ?
M. Sissoko : Parce que je n’aime pas le Nescafé.
Moi : Mais vous, vous fumez, alors que moi, je n’aime pas la cigarette !
M. Sissoko : Ah, mais ça, ce n’est pas pareil.
Moi : Bien sûr que c’est pareil ! Tiens : pour chaque cigarette que vous fumez, moi, j’ai droit à un Nescafé.
M. Sissoko : C’est bon, marché conclu. Maintenant, Mariam, dis-moi, tu travailles de quelle heure à quelle heure ?
Moi : Je commence à 8h30 et je termine à 17h
M. Sissoko : Très bien. Alors désormais, tu n’auras le droit de quitter la maison qu’à partir de 8h, et tu devras être rentrée tous les soirs à 17h30.
Moi : Ah, bien déjà, là, il y a un problème : je mets une heure pour me rendre au travail, et un peu plus pour en revenir. Et ça, c’est quand mon patron me laisse partir à 17h ! Trop souvent, il me dit “Johanne (mon patron m’appelle Johanne et non Mariam), viens ici un peu” alors qu’il est 17h pile.
M. Sissoko : Bon, déjà, on va mettre une chose au claire : ton patron doit désormais t’appeler Mariam, tu lui diras que c’est ton mari qui l’exige.
Moi : Bon, ça, ça peut se négocier. Mais pour ce qui est de m’imposer des heures de sortie, ah ! bin là, vraiment ! Moi, je suis pour la liberté !
Un voisin joueur de basket passé par là par hasard : Ah, mais trop de liberté, c’est pas bon, hein !
Moi : Comment ça, c’est pas bon ? Oooh, M. Sissoko, ce sera pas facile, hein ?! Au Canada, les femmes, elles sont trop habituées à la liberté !

La conversation a ensuite bifurqué vers un autre sujet, mais ce que j’ai dit n’est pas entré dans des oreilles de sourds. Le lendemain, je me suis informée auprès de David pour savoir s’il avait su finalement ce qui s’était passé avec la dame qu’il avait entendue crier dans la nuit. Bien que plusieurs voisins s’étaient approchés pour voir ce qui se passait, David n’a jamais pu savoir ce qui s’était réellement passé.

“C’est probablement, m’a dit David, que le mari était en train de battre sa femme. En ville, c’est un peu tabou, maintenant, de battre sa femme. En campagne, ça se fait ouvertement, dans la rue même, mais en ville, c’est de plus en plus gardé caché.
-Eh! bin, que je lui ai répondu, si la femme est sortie en criant comme ça dans la rue, c’est probablement qu’il frappait très fort! En tous cas, tu sais David que si un homme bat ainsi sa femme, au Canada, elle peut appeler la police et c’est sûr que le monsieur, on va l’emmener au poste?!”

Eh ! bien non, David ne savait pas ça, et ça l’a bien étonné. Et c’est là-dessus qu’il m’a répété ce que j’avais dit plus tôt à M. Sissoko : “Tsé, quand tu disais que les canadiennes sont trop habituées à la liberté… Ah, moi, vraiment, je pense que les femmes canadiennes, elles sont trop libres, hein…” En effet, dans la tête de certains hommes au Mali, la femme est comme un enfant, vulnérable, faible, naïve, fragile, et il est normal de l’éduquer. Comme il est normal de frapper un enfant, il est aussi normal de frapper une femme.

Paradoxalement, et c’est ce qui fait que j’ai du mal à me situer par rapport à tout ça, on voue ici un respect immense à la femme. Quand des voisins m’ont sorti l’histoire d’Adam et Ève (Adama et Awa, comme on les appelle ici), je les ai tout de suite arrêtés en expliquant que, pour ma part, j’avais beaucoup de difficultés avec cette histoire. D’abord parce qu’elle laisse croire que la femme n’est qu’un tout petit bout d’homme (Ève n'aurait-elle pas été créée à partir d’une côte d’Adam ?). Ensuite parce qu’elle laisse croire que la femme est fragile, vulnérable et faible, puisque c’est elle qui a succombé à la tentation en croquant dans la pomme offerte par le diable. Parce qu'au bout du compte, c’est à cause d’elle qu’il y a le mal sur terre.

À mes arguments, mes voisins ont répondu que “Non… Non, non, non, ce n’est pas vrai, la femme est forte, très forte, nous sommes tous nés d’une femme. Sans la femme, Adama, il serait rien... Nous respectons trop la femme ici, pour une dose de respect pour l'homme, nous en avons 3 pour la femme. Et quand la maman parle, ici, tout le monde écoute !” Et franchement, j’a pu constater de mes propres yeux que, au sein d’une famille, derrière les murs des maisons, les femmes ont effectivement un grand pouvoir. J’ai vu de mes propres yeux une maman approcher son grand garçon d’une trentaine d’années et le gronder comme si elle s’était adressée à un petit enfant. Et j’ai vu le grand garçon d’une trentaine d’années réagir, effectivement, comme s’il était redevenu, soudainement, un petit garçon.

Mais alors, comment expliquer qu’on continue ici de battre les femmes sans remords, comme si c’était un devoir ? Comment expliquer qu’on impose parfois des heures de sortie et de rentrée aux femmes ? Comment expliquer qu’on enferme ainsi les femmes dans des réglements peut-être acceptables pour un enfant… mais pour une femme ? Vraiment, il me manque encore beaucoup trop d’éléments pour bien comprendre la logique de tout ça !

lundi, novembre 20, 2006

Varia

Travailler à l’international, ça signifie parfois, même quand on travaille dans sa langue maternelle, réapprendre un nouveau vocabulaire. Récemment, alors que je préparais l’ordre du jour d’une rencontre, j’ai écrit “Varia” au dernier point, comme j’en avais l’habitude au Canada. Mes collègues à qui j’ai présenté l’ordre du jour m’ont tous demandé ce que signifiait “varia”. J’ai donc remplacé le terme par “divers”. Dans un tel cas, c’était simple.

Mais trop souvent, les termes employés diffèrent de ceux auxquels je suis habituée. Quand les termes ne sont pas typiquement africains, ils sont européens. Mais ils sont très rarement nord-américains. Ainsi, j’ai parfois du mal à me retrouver quand on me demande d’écrire ou de consulter des “mémos”, “notes de présentation”, “termes de référence” ou autres documents dont la nature ne m’est pas familière. Alors que mon patron me parlait de districts, de chefs-lieux, de communes et de commandants de cercles, j’ai mis un certain temps avant de comprendre qu’en fait, il me parlait de décentralisation, de villages et de régions. De même, j'ai mis un certain temps avant de comprendre, lors de réunions auxquelles participent des fonctionnaires, qu'on désigne certains départements et leur directeur par "cellule" et "chef de cellule". C’est ainsi que, parfois, dans le cadre de certaines rencontres, je me retrouve complètement perdue, ne sachant plus de quoi il est question, simplement parce que le français nord-américain n’est pas le français européen ni le français africain.

dimanche, novembre 19, 2006

Des sujets délicats

Au cours des derniers jours, j’ai beaucoup causé, avec David, mais aussi avec M. Sissoko et quelques voisins. Nous avons abordé de nombreux sujets délicats, tels que l’excision et la circoncision (effectuées ici à froid, sans anesthésie), la religion, les relations hommes-femmes, la mort… J’ai l’intention d’en traiter bientôt dans de plus longs billets. Mais déjà, je dois dire que, si en général je préfère porter mon regard sur ce qui rassemble les gens, sur ce qui les réunit, il y aura toujours de ces sujets qui font des relations interculturelles des relations difficiles. Il y a de ces sujets qui creusent entre les gens des trous immenses, difficiles à remplir, des fossés profonds qui divisent, qui séparent, qui éloignent les gens. Il y a de ces sujets qui touchent des valeurs si profondes, si dures, si vieilles, qu’elles sont devenues immuables, inchangeables. Il y a de ces sujets qui touchent si fort le coeur et les émotions qu’il ne reste plus d’espace pour la tête et ses idées logiques, rationnelles. Il y a de ces sujets qu’il faut creuser, fouiller, analyser longtemps, très longtemps, trop longtemps, avant d’y trouver un pont qui pourra à nouveau réunir les gens.

Je crois beaucoup, peut-être naïvement, à des concepts tels que le “dialogue des civilisations” ou la “diversité culturelle”, sensés conduire à cette utopie qu’est la “paix dans le monde”. Parce que j’essaie de garder l’esprit ouvert, parce que j’aime discuter, parce que j’aime écouter, comprendre et sentir, je crois qu’il est possible à des gens aux idées différentes d’évoluer, de travailler, de vivre côte-à-côte en harmonie. C’est un discours couleur rose bonbon au goût sucré, qui peut écoeurer certaines personnes… Et moi-même, je me demande parfois comment il pourrait être possible pour des personnes qui concoivent la vie de façons si différentes de demeurer complètement ouvertes les unes aux autres, sans préjugés. Même si j’essaie de demeurer la plus ouverte que possible aux idées des autres, il y a de ces sujets qui me touchent trop pour que je sois même capable d’en parler. Il y a de ces sujets qui font émerger des émotions si fortes que les unes et les autres se bousculent dans ma poitrine sans que je sache les exprimer. Il y a de ces sujets qui me laissent complètement bouche bée !

samedi, novembre 18, 2006

La température change

Quand je suis arrivée à Bamako, j’ai passé quelques jours dans le quartier Hippodrome, situé tout près du centre-ville. Chaque matin, je me réveillais complètement trempée par la sueur, malgré la fenêtre ouverte, malgré le ventilo du plafond ouvert au maximum. Quand je suis arrivée dans le quartier Lafiabougou, où j’habite maintenant, j’étais contente de constater que la maison était plutôt fraîche. Dès les premières nuits, j’ai beaucoup mieux dormi. En fait, comme j’habite complètement à l’ouest de la ville et que le quartier est bien aéré par le vent venu des montagnes (les Monts Mandingues), la température du quartier, au bout du compte, est plus agréable qu’au centre-ville. Ainsi, chaque matin en me rendant au travail au centre-ville, je peux constater la différence de température entre mon quartier et le coeur de la ville. Je pars souvent de chez moi habillée d’un veston ou d’un chandail, que j’enlève dès que je pose les pieds au centre-ville après ma petite balade quotidienne en sotrama.

Depuis plusieurs jours déjà, les bamakois me disent que le temps de la “fraîcheur” est venu. Chaque fois je me dis “Bin si ça c’est frais, je préfère ne pas savoir comment c’est quand c’est chaud!” Mais depuis quelques temps, je constate qu’effectivement, la température descend dès le soleil couché. D’ailleurs, au cours de la dernière semaine, le froid m’a réveillée à deux reprises, vers les 4 heures du matin, habituée que j’étais de dormir la fenêtre ouverte. Habituée de dormir sans couverture, avec le ventilateur du plafond et un ventilateur sur pied “dans le piton”, j’ai dû revoir ma stratégie pour conserver ma chambre à une température agréable toute la nuit.

De plus en plus souvent, les rues se vident, le soir, à cause de la fraîcheur qui pousse les bamakois à rester bien au chaud dans la maison. En fait, ces nuits plutôt froides pour le Mali ressemblent à d’agréables nuits d’été canadiennes, qui nous obligeraient peut-être à porter un chandail de laine, mais qui ne nous pousseraient sûrement pas à nous enfermer dans la maison. Mais ici, on n’est pas trop habitué à ce genre de température. Je suis d’ailleurs toujours un peu étonnée de voir quelqu’un se balader avec une tuque ou un manteau, alors que la température, le jour, demeure toujours très chaude, malgré les nuits qui rafraîchissent…

Je dois tout de même avouer que mon propre corps s’adapte aussi (peut-être un peu trop vite) à la température du Mali. Je suis en train de devenir plus frileuse que les Maliens! Ainsi, hier soir, alors que je discutais tranquillement avec des voisins dehors, j’ai dû rentrer d’abord pour mettre un chandail à manches longues, puis à nouveau pour mettre des chaussettes et un chandail de laine… tandis que mes voisins, eux, restaient bien assis là avec leurs sandales et leur t-shirt… Il faut dire en tous cas que eux sont aussi étonnés que moi de me voir ainsi cachée sous des épaisseurs de vêtements, car pour plusieurs Maliens, le Canada, c’est avant tout un pays froid où il y a de la neige 12 mois par année. Pour les Maliens, donc, un Canadien est tout sauf frileux !

vendredi, novembre 17, 2006

Parler pour parler

Lors d'une réunion, récemment, plusieurs personnes discutaient de l'organisation d'une émission spéciale sur le VIH/SIDA :

-Je crois que cette émission devrait être diffusée en direct. Ainsi, l’émission aurait davantage d’impact.
-Oui, bon, je n’ai pas de contrôle sur le moment où sera diffusée l’émission, il faut d’abord discuter avec les gens de la chaîne de télévision.
-Oui, d’ailleurs, il n’est pas pertinent de discuter de ce genre de détails ici. Une sous-commission a été créée justement pour discuter de ce genre de choses.
-Oui, effectivement, je suis d’accord, nous allons maintenant trop en profondeur dans le sujet. Par contre, je tiens à dire que, pour ma part, je préférerais que l’émission soit diffusée en direct.
-Je crois moi aussi que ce n’est pas la place ici pour discuter de ce genre de détails. Je dois dire, toutefois, qu’à mon avis, ce n’est pas une bonne idée que de diffuser cette émission en direct. Comme l’émission est diffusée un vendredi soir, ne risque-t-on pas ainsi de ne pas rejoindre notre public cible ?
-Bon, comme je l’ai dit déjà, la sous-commission, qui se réunira bientôt, pourra discuter de la question.
-Oui, oui, exactement ! Il y a plusieurs points à traiter, nous devons passer aux autres points à l’ordre du jour. Mais je crois vraiment que cette émission devrait être diffusée en direct !
-Ah ! oui, ah! oui, je suis d’accord !

Et voilà le débat relancé... Mais bon. Avant que tous mes lecteurs s'imaginent que les réunions, au Mali, sont un cauchemar interminable, il faut comprendre que je me sens parfois un peu perdue dans toutes ces réunions où je rencontre souvent de nouvelles personnes dont j'ai un mal fou à retenir le nom et même le visage (allez savoir pourquoi, moi-même je n'y comprends rien !). Je me sens parfois un peu perdue dans ces réunions dans lesquelles on utilise parfois un vocabulaire auquel je ne suis pas familière, et au cours desquelles on fait référence à des choses qui me sont inconnues. Fort heureusement, il survient parfois ce genre de petits épisodes qui me permettent de rigoler un peu dans ma barbe. Et puis après tout, est-ce que ce même genre de conversation n'aurait pas pu être entendu dans une réunion au Canada ? J'ai bien peur qu'effectivement, même au Canada, il nous arrive d'aimer "parler pour parler" !

Une balade dans les Monts Mandingues


Samedi dernier, je suis allée me balader du côté de Siby, un village de la région de Koulikoro situé à environ 50 km à l’ouest de Bamako, sur la route de Guinée. Avec Nathalie et quelques amis maliens, nous avons marché du côté des montagnes, qu’il est possible d’escalader. Ce sont justement des escaladeurs maliens qui nous ont accompagnés là-bas. On nous avait dit qu’on y verrait des singes et des phacochères. Manque de veine, on n’a vu qu’un troupeau de vaches guidées par leur berger.



Tout de même, on a vu des paysages assez impressionnants, tout en montant jusqu’à l’arche de Kamandjan. Selon la légende, cette arche aurait été percée d’un coup d’épée par le roi de Siby, Kamandjan Kamara. À l’époque de Sundjata Keïta, les rois alliés se retrouvèrent avant de mener une bataille décisive. La veille du départ, chaque roi aurait été tenu de montrer ce dont il était capable, et c’est ainsi que Kamara aurait transpercé la montagne avec son sabre. Je résume très grossièrement l’histoire, mais j’espère éventuellement écrire quelques billets historiques, car l’histoire du Mali est très riche et, grâce à la plaisanterie à cousinage dont j'ai parlé déjà, elle demeure très vivante !

Par ailleurs, « Kamandjan » signifie « long maïs», et effectivement, on a pu apercevoir quelques longues tiges de maïs, tout en montant vers l’arche. Par contre, l’allée comme le retour nous a permis d’avaler une bonne dose de poussière, puisqu’une bonne partie de la route de Guinée, que nous avons empruntée pour nous rendre à Siby, n’est pas goudronnée.

Il faut cliquer sur les liens pour voir des photos alors que nous longeons les Monts Mandingues, tout en suivant un autobus et en faisant manger un peu de poussière à ceux qui nous suivent... Ou alors pour voir les photos d'un monsieur, croisé sur le chemin d'une seule voie qui mène à la montagne, qui nous assure qu'aucun véhicule ne vient en sens inverse... et pour voir l'autobus croisé 30 secondes plus tard ! Il est aussi possible de voir des moutons cascadeurs ici.

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Siby

mercredi, novembre 15, 2006

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

J'arrive d'une réunion. Nous étions 5 à essayer de faire balancer le budget d'une activité. Au Canada, sauf erreur, le même travail aurait pu rapidement être effectué par une seule personne, qui aurait soumis au comité d'organisation de l'activité le résultat de son travail pour approbation ou commentaires seulement.

La semaine dernière, je me suis retrouvée à une réunion à laquelle participaient pourtant des personnes fort occupées, qui occupent de hautes fonctions au sein du gouvernement. Encore une fois, nous étions 5 personnes pour... produire une toute petite fiche d'inscription d'une page :
  • Bon, on ne devrait pas mettre la case pour la signature un peu plus loin au bas de la page ?
  • Peut-être il faudrait demander le nom du représentant de l'organisation ?
  • Ah ! oui, mais la personne contact, elle ? Ne doit-on pas demander ses coordonnées ?
  • Bon, si déjà on a le nom du représentant de l'organisation, nous pourrons toujours retrouver la personne contact...
  • Ah bon, d'accord...
  • T'as pas envie d'ajouter des lignes, pour que les personnes qui rempliront la fiche à la main puissent écrire plus facilement ?
  • Oui, ok, les lignes sont assez longues comme ça ?
  • Et là, on pourrait peut-être encadrer cette partie ?
  • Oui, oui, bonne idée... Vous en pensez quoi vous ?
Le tout a duré près de deux heures... Hé ! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?!

Être malade au Mali : la suite

On m'avait dit déjà que, dans nombre de pays africains, la façon dont on traite un malade est tout-à-fait différente de ce à quoi on est habitué au Canada. Au Canada, quand je suis malade, je cherche la tranquilité d'abord, le calme, la solitude. J'essaie de dormir le plus possible, question de bien récupérer, et je limite mes contacts au minimum.

Au Mali, au contraire, la maladie est fortement associée à la mort. C'est du moins ma façon d'interpréter les choses. Et ça se comprend un peu, quand on sait que l'espérance de vie n'est ici que de 56 ans environ. Ca se comprend également quand on connaît un peu les hôpitaux et les soins disponibles ici. Ainsi, du moment où une personne est malade au Mali, l'idée que peut-être la mort est proche finit souvent par lui trotter dans la tête. Les Maliens agissent donc avec les malades comme on agit au Canada avec les personnes agonisantes. Pour un Malien, une personne qui souffre doit être entourée. Elle doit également éviter de dormir, autant que possible, car le sommeil est un premier pas vers la mort.

C'est du moins ce que j'ai cru comprendre, dimanche dernier, alors que j'ai dû gérer les allées et venues des voisins et des connaissances venus prendre des nouvelles de Nathalie. La plupart n'étaient pas satisfaits d'entendre "Voilà, elle a pris des médicaments, maintenant elle dort, elle va de mieux en mieux, il ne faut pas s'inquiéter, elle se repose, elle ira mieux..." La plupart ont insisté pour la voir. L'un d'eux m'a suggéré de la réveiller et de la forcer à manger, même si elle vomissait tout ce qu'elle essayait d'avaler. Lundi matin, notre gardien David a même tardé à partir, espérant d'abord voir Nathalie. Quand je lui ai dit "Bon, elle va beaucoup mieux, elle va restée coucher pour la matinée, mais elle pourra aller travailler dans l'après-midi", il m'a répondu "Bon, ok, c'est bon, mais j'aurais quand même aimé la voir avant de partir"...

Pour la Canadienne que je suis, cette exigence à voir la malade à tout prix m'a mise, toute la journée, dans des situations un peu embarrassantes. Quoi faire quand, d'un côté, la malade demande qu'on la laisse tranquille et que, de l'autre côté, les visiteurs insistent pour la voir ? Si j'essaie la plupart du temps de m'adapter aux façons de faire maliennes, dans ce dernier cas, j'ai préféré agir comme j'aimerais qu'on agisse avec moi, et j'ai laissé Nathalie dormir malgré l'insistance des visiteurs...

mardi, novembre 14, 2006

Être une minorité visible

Pour la deuxième fois de ma vie, j’expérimente ce que c’est qu’être une minorité visible (la première fois, c’était au Burkina Faso). De façon générale, je vis assez bien avec ma peau blanche, mes yeux pers et mes cheveux lisses, même si la plupart des gens ici ont la peau beaucoup plus bronzée que la mienne, les yeux noirs et les cheveux crépus. Mais parce que je suis blanche, parce que je suis visible, parce que je me démarque de la masse, j’attire les regards. Et je dois avouer que, certains jours, bien que rarement heureusement, j’aimerais bien être invisible. Il y a des jours où j’ai l’impression que ma peau n’est pas seulement blanche, mais bien fluorescente, voire phosphorescente. Il y a des jours où j’en ai franchement marre que des hommes, des femmes ou des enfants que je n’ai jamais vus, que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam, me saluent, me crient “Hé ! La blanche!” ou soient parfois impolis. Il y a des jours où je ne peux plus supporter que le fou du quartier, qui vient d’apercevoir ma peau blanche, me crie des injures que je ne comprends pas, mais qui mettent tout le monde mal à l’aise. Il y a des jours où je n’ai qu’une envie, quand un taxi me klaxonne en passant devant moi, comme ça m’arrive plusieurs fois par jour : lui crier que, merde, ce n’est pas parce que mes jambes sont blanches qu’elles ne peuvent pas me porter! Il y a des jours où je ne supporte plus qu’on me vende des carottes, des oignons ou des bananes plantains trois fois le prix habituel seulement parce que, supposément, avec la peau blanche vient un porte-feuille bien garni. Il y a des jours où je n’en peux plus que mon parcours soit parsemé de “toubabous ! toubabous !” Il y a des jours où j’en ai franchement marre que les gens se mettent à rire chaque fois que j’essaie de m’exprimer en bamanan. Il y a des jours où je n’en peux plus que des enfants me suivent subtilement pour toucher un peu mes cheveux de blanche, à mon insu. Il y a des jours où je ne supporte plus que des bébés éclatent en larmes ou mettent les mains devant leurs yeux, complètement effrayés, en voyant ma peau blanche. Il y a des jours où je ne supporte plus que des femmes scrutent de haut en bas et de long en large mon corps de blanche, mes habits d’occidentales.

Il y a des jours où j’aimerais bien, moi aussi, avoir la peau noire comme l’ébène, des lèvres charnues, des yeux noirs et des cheveux crépus et tressés. Il y a des jours où j’aimerais bien moi aussi avoir une garde-robe composée exclusivement de robes faites de pagnes et de bazins (deux sortes de tissus très utilisés ici). Il y a des jours où j’aimerais bien moi aussi parler bamanan sans accent. Il y a des jours où j’aimerais bien, moi aussi, passer inaperçue.

Si des jours comme ceux-là sont assez rares, fort heureusement, je dois tout de même avouer que, le soir, quand je reviens du travail, je m’empêche parfois de ressortir parce que je ne me sens pas la force de supporter encore le regard des gens sur moi. Je ne sais pas toujours comment réagir à toute cette attention portée sur moi, et parfois, ça me pousse à me terrer à la maison. Nombreuses sont les situations dans lesquelles je ne sais pas comment agir, je ne sais pas comment réagir, et quand je suis fatiguée de me poser la question, je préfère rester tranquillement chez moi. Heureusement, fort heureusement, ces moments de grande lassitude surviennent rarement...

lundi, novembre 13, 2006

Être malade au Mali

Il y a quelques jours, j'ai accompagné un collègue de travail au dispensaire. La femme de l'un de ses amis venait d'accoucher par césarienne, et il voulait aller lui faire une petite visite. Un dispensaire est un peu plus gros qu'une clinique, mais un peu plus petit qu'un hôpital. Dans la petite chambre d'à peine 2-3 mètres carré, il y avait deux lits sur lesquels se trouvaient des bâtons porte-moustiquaire... sans moustiquaire. Par terre, deux gardes-malades mangeaient un peu de riz, assises sur des tapis. La dame qui venait d'accoucher était aussi assise par terre sur un tapis, et elle allaitait la petite d'à peine 3 jours. Seule une femme qui venait, semble-t-il, de faire une fausse-couche, était couchée sur un lit, bien mal en point. Sur le deuxième lit étaient assis côte-à-côte tous les visiteurs passés dire bonjour à la nouvelle maman. Heureusement, la chambre était ventilée ! Quand j'ai enfin quitté la salle de gynécologie, je me suis dit que "Non, vraiment, le Mali n'est pas endroit pour être malade !"

Mais on ne choisit jamais d'être malade. Quand Nathalie s'est levée, dimanche matin, elle avait été malade toute la nuit. Ce fut toute une aventure de chercher un peu de quoi la soigner. Alors que je cherchais une pharmacie, la boulangère m'a dit que le dimanche, la plupart des pharmacies étaient fermées. J'ai donc rebroussé chemin et je me suis arrêtée à la clinique Effica-Santé, située tout près de chez moi. Là-bas, on m'a expliqué que, pour rencontrer un médecin, il fallait débourser 3000 FCFA (environ 8$CAN) et 6000 FCFA (15$CAN) pour une visite à domicile. L'infirmière de la clinique m'a aussi dit que je pourrais trouver une pharmacie ouverte un peu plus loin. J'ai donc marché jusque là-bas.

Mais oh! malheur, le pharmacien de la seule clinique ouverte en ce beau dimanche matin est celui-là même qui m'avait un peu chanté la pomme à mon arrivée dans le quartier. Je l'avais trouvé franchement insistant (alors que je le croisais pour la deuxième fois seulement, il me disait déjà "ma chérie" !), alors j'ai fait en sorte de ne plus le croiser. Donc quand je l'ai revu, il était un peu fâché, et d'abord, il n'a pas voulu me servir. Mais chassez le naturel, et il revient au galop ! Après 5 minutes, il avait déjà recommencé à me chanter la pomme : "Le jour où tu as refusé de me rappeler, j'ai fumé au moins dix mèches (dix cigarettes) !" J'ai eu un peu de mal à faire confiance au diagnostic de cet homme au coeur brisé qui essayait, tout à la fois, de me séduire et de me vendre de tout et de n'importe quoi :

  • Goûte à ceci, c'est bon, non ? Ce sont des pastilles de vitamine C mélangées à de l'eau. Maintenant que tu as bu ça, tu vas retourner chez toi en courant, tellement ça donne de l'énergie...
  • Bon, merci, mais j'ai déjà des multivitamines à la maison...
  • Ah ! mais j'ai aussi des multivitamines ici, et elles sont meilleures que ce que tu as chez toi...
  • D’abord, comment tu connais ce que j’ai chez moi ?
  • Je connais pas, mais je connaîtrai bientôt, puisque tu m'inviteras chez toi...
  • Ah ! bon ? C’est pas dans mes plans en tous cas !… Mais pour en revenir à mon amie, qui est malade à la maison...
  • Oui, bon, tu ne crois pas qu'elle a peut-être le palu (le paludisme ou malaria) ?
  • Elle n'a aucun des symptômes du palu...
  • Bon, alors je vais lui donner un déparasitant...
  • Comment tu sais que c'est un parasite qu'elle a ?
  • Bon, on n'a pas la nausée sans raison... D'ailleurs, toi-même tu devrais prendre un déparasitant...
  • Mais moi, je ne suis pas malade !
  • Non, mais on n'est jamais trop prudent..."


Bref, je suis partie sans rien acheter... Nathalie a voulu qu'un médecin vienne la rencontrer à la maison. Comme on ne répondait pas au téléphone à la clinique, je suis retournée là-bas. L’infirmière a téléphoné le médecin, que j’ai attendu longtemps, longtemps, longtemps, jusqu’à ce qu’il se pointe… sur sa moto. Ce que je redoutais est arrivé : j’ai dû monter avec lui sur sa moto et essayer de garder l'équilibre, son stéthoscope dans une main, son appareil pour prendre la pression dans l’autre, pendant que lui conduisait. Jusqu’à maintenant, j’avais toujours refusé de monter sur une moto, car les accidents de moto sont beaucoup trop fréquents à Bamako. Mais dans ce cas, est-ce que j’avais le choix ? Après avoir rencontré Nathalie, le médecin lui a prescrit 4 sortes différentes de médicaments. Effectivement, on m’a dit déjà que, quand un africain rencontrait un médecin, il ne ressortait satisfait de la consultation que quand on lui prescrivait des médicaments. Ainsi, il n’est pas rare de quitter le bureau du médecin avec une très longue prescription…

C’est le pharmacien qui était content de me voir revenir, avec une telle prescription ! Je lui ai acheté beaucoup plus de médicaments qu'il ne l'aurait espéré ! Avant qu’il accepte de me laisser partir avec mon gros sac de médicaments, j’ai dû toutefois partager avec lui un petit verre de thé. Seulement ensuite, j’ai pu retourner à la maison…

Le centre-ville de Bamako est un labyrinthe

Ce matin, en me rendant au travail, j'ai pris le mauvais sotrama. L'apprenti m'indiquait le centre-ville avec la main, j'ai donc cru qu'effectivement, le sotrama m'amènerait comme d'habitude vers le centre-ville en passant par le quartier A.C.I. 2000, où je descends, une fois passée la deuxième mosquée. Plutôt, le sotrama s'est dirigé vers le quartier Hamdallaye, et j'ai ainsi fait, contre mon gré, une visite de ce quartier que je connais encore trop mal. Je suis finalement descendue au centre-ville, après une trop longue ballade imprévue, avec l'intention de marcher jusqu'au travail. Je connais trop mal le centre-ville et je me suis dit qu'une fois pour toutes, j'allais me retrouver dans cette partie de la ville où, pourtant, je vais souvent. Mais chaque fois que je suis au centre-ville, c'est pareil : je me sens comme dans le labyrinthe du Minotaure, toujours près du but, sans jamais l'atteindre. Plusieurs fois déjà, je suis passée devant la grande mosquée. Plusieurs fois déjà, je suis passée devant l'Institut national des arts. Plusieurs fois déjà, je suis passée dans la rue où l'on vend les téléphones portables. Plusieurs fois déjà, je suis passée devant le Carrefour des jeunes. Malgré tout, chaque fois que je souhaite sortir de ce labyrinthe, je dois prendre un taxi, à moins de me retrouver tout-à-fait par hasard tout près du Carrefour des jeunes, d'où je peux prendre un sotrama pour revenir dans Lafiabougou, le quartier où j'habite.

Ce matin, comme je devais me rendre au travail sur le bord du fleuve, je n'avais aucune idée du sotrama à prendre. Après avoir marché un peu, je ne savais plus du tout où j'étais. Je me suis donc résignée, encore une fois, à prendre un taxi, seul fil d'Ariane capable de me faire sortir du centre-ville de Bamako...

dimanche, novembre 12, 2006

J’ai un mari malien !

Oooooh ! J’imagine d’ici le visage de mes parents à l’annonce de cette nouvelle ! Hé ! Hé ! Mais en fait, il ne faut pas être inquiet. Pas un seul malien, ni même un seul homme sur cette terre ne m’a encore glissé l’anneau au doigt. Par contre, l’un de mes voisins, M. Sissoko, s’est autoproclamé “mon mari”. M. Sissoko est un musicien qui étudie à l’Institut national des arts de Bamako. Notre gardien David et sa guitare l’ont donc rapidement attiré chez nous. Le premier soir où je l’ai rencontré, il avait la guitare à la main, et il s’est mis à me chanter une chanson en bamanan à laquelle je ne comprenais pas un traître mot, mais dans laquelle il y avait le mot “Mariam” (mon nom malien) répété inlassablement ! La situation était plus comique que romantique, surtout qu’après, il m’a fait écouter son répertoire, enregistré sur son téléphone cellulaire, ce qui sonnait franchement comme dans le fond d’une boîte de conserve.

M. Sissoko a tôt fait de me demander si j’étais mariée. Il m’arrive de répondre que oui, je suis mariée, question qu’on me laisse tranquille un peu. Mais c’est à croire que je suis une très mauvaise menteuse, car chaque fois que je dis “oui, oui, j’ai un mari là-bas au Canada”, on ne me croit pas. À M. Sissoko, j’ai donc dit, bien naïvement, trop naïvement, “Non, non, je ne suis pas mariée.” Quelle erreur ! Depuis, il manigance, de concert avec David, pour que je réclame la nationalité malienne et que je passe ainsi le reste de mes jours ici. Chaque soir, ils m’arrivent avec de nouveaux arguments pour qu’enfin je me décide à mettre aux poubelles mon billet de retour pour le Canada. Tous les deux sont convaincus que, bientôt, on m’offrira un poste de directrice quelque part à Bamako, et qu’ainsi, je marierai M. Sissoko, et embaucherai David comme chauffeur. Et M. Sissoko de répéter à qui veut l’entendre qu’il est mon mari, et que je suis Mme Sissoko. J’ai beau leur répéter que, si je reste au Mali, ma famille va trop me manquer, ils ne veulent rien entendre ! D'ailleurs, ils préparent déjà l'immigration de toute ma famille vers le Mali. Ils ont déjà donné des noms maliens à chacun : c'est ainsi que ma maman est devenue Fanta, et mon papa, Mamadou. Ils espèrent que, bientôt, l'Ambassade du Canada leur offrira un emploi.

Bien sûr, une malienne n’est pas complètement malienne si elle ne parle pas bamanan. M. Sissoko a donc entrepris de m’apprendre la langue. Tous les soirs, j’ai droit à une leçon. Récemment, il a usé de ruse pour me faire lui dire, à mon insu, “mon amour” en bamanan. Ah, mais je suis aussi rusée ! Jamais M. Sissoko n’a réussi à me faire dire “mon amour”, ni en bamanan, ni en français, ni en russe ou en chinois d’ailleurs ! Quand même, il n’en manque pas une ! Quand, dernièrement, Mme Coulibaly m'a saluée en me disant "Mme Doumbia!", M. Sissoko a tôt fait de dire "Hé, il faut dire Mme Sissoko maintenant", ce à quoi Mme Coulibaly a répondu, prenant mon parti, "Oh ! non, elle est plutôt Mlle Doumbia!" Et puis un soir, alors que je revenais du travail, j’ai entendu quelqu’un crier “Mariam!” C’était M. Sissoko qui discutait avec deux de ses frères. Il m’a présenté à eux et, quand je suis partie, il m’a crié “Ce sont tes beaux-frères !” “Ah! bon”, suivi d’un éclat de rire, fut ma seule réponse ! Et ils se sont bien bidonnés aussi.

Ainsi, il faut avouer que, comme je l'ai déjà écrit, la séduction est avant tout un jeu, auquel les Maliens adorent jouer. Ça les amuse beaucoup de taquiner ainsi les femmes. Moi-même, j’essaie donc de m’amuser de la situation...

vendredi, novembre 10, 2006

Un mois déjà !

J'ai posé le pied sur le sol malien dans la nuit du 9 au 10 octobre. C'était il y a un mois déjà ! Mon premier mois au Mali a passé très vite : dans un pays aussi différent du Canada, il faut tout réapprendre. Il faut réapprendre à saluer les gens, il faut réapprendre à faire son épicerie, il faut réapprendre à utiliser les transports en commun, il faut réapprendre à magasiner, il faut apprendre une nouvelle langue, il faut apprendre à négocier, il faut réapprendre à prendre le taxi, il faut réapprendre à faire à manger, il faut parfois même réapprendre à manger (avec la main, sans ustensile), il faut s'habituer à un nouvel emploi, à de nouvelles façons de travailler, à une nouvelle structure... Bref, toute cette nouveauté fait passer le temps très vite. Et encore aujourd'hui, je ne passe pas une semaine sans me dire à quel point j'ai de la chance de pouvoir voir de mes propres yeux un pays si différent du mien, et qui est situé à plusieurs kilomètres de chez moi.

Maintenant que j'entreprends le deuxième mois de mon séjour au Mali, ma vie est un peu plus routinière. Je travaille tous les jours de la semaine de 8h à 17h, sauf le vendredi où je termine vers midi. Je connais de plus en plus les commerces autour de chez moi, et j'ai une bonne idée d'où je peux trouver du lait, du yogourt, des bananes, des tomates, du concombre et du pain. Par contre, plusieurs choses sont toujours à découvrir, ce qui rend la vie beaucoup moins routinière. Ainsi, récemment, j'ai eu besoin d'un peu d'aide pour trouver une simple ampoule ou des carottes. Je suis également toujours à la recherche d'un endroit où je pourrais faire imprimer des photos, question de laisser des souvenirs à des maliens qui n'ont pas tous la chance de se faire photographier régulièrement, et encore moins d'avoir une copie de la photo. Aussi, je vais bientôt commencer à chercher un peu de tissu, car j'aimerais bien me faire coudre un nouvel ensemble pour Noël. Comme les habits occidentaux sont parfois difficiles à trouver ici, je passerai peut-être Noël 2006 habillée à la malienne ! Bientôt, je vais aussi commencer à chercher de l'information, question de planifier de petits voyages au Mali, et peut-être dans les pays des environs. Enfin, tout le mois de novembre, la préparation de la campagne nationale de lutte contre le VIH/SIDA, prévue pour décembre prochain, risque de beaucoup m'occuper au travail ! Ainsi, bien que je commence à m'habituer à Bamako et à mon travail, la vie risque peu d'être routinière au cours des prochaines semaines.

Travailler au Mali : constatations

Constation 1

Au Mali, quand une réunion est prévue pour 10h, ça signifie bien souvent que les gens vont COMMENCER à arriver à 10h. L’heure réelle où commence une réunion est toujours assez aléatoire.

Constatation 2

La séduction est un jeu auquel les maliens ne se lassent jamais de jouer. Inévitablement, au cours d’une réunion (où les femmes sont presque toujours minoritaires d'ailleurs), la discussion finit souvent par dévier sur le monsieur là-bas qui a la chance d'être assis entre deux dames, ou sur la robe jaune de la dame qui la rend beaucoup trop charmante. Lors d’une rencontre sur les droits humains à laquelle j'ai participée, la conversation a bifurqué pendant au moins une dizaine de minutes sur le droit au mariage, alors que ça n’avait rien à voir avec le sujet de la réunion. Tous les participants à la rencontre ont beaucoup ri, l'un disant que le droit au mariage, c’était très important, et l'autre ajoutant qu’il ne fallait discriminer personne en l’obligeant au célibat…

En passant, voici une photo de l'édifice où se trouvent les bureaux d'ONUSIDA.

jeudi, novembre 09, 2006

Une intrus dans la cuisine

Dimanche dernier, Mme Coulibaly, une voisine, est venue chez nous, accompagnée de sa soeur et de la petite Mariam. Mais j’étais partie faire un petit tour au cybercafé, tandis que Nathalie était couchée dans sa chambre. Les femmes n’ont donc pas osé frapper à la porte de la chambre de Nathalie. Mais nous avons une maison fraîche, bien ventilée. Elles se sont donc couchées un peu sur le plancher de la cuisine, sous le ventilo, pour profiter de la fraîcheur de notre maison. Puis Nathalie s’est levée, elles ont discuté un peu puis les deux soeurs sont reparties chez elles. Mais comme la petite Mariam s’était, quant à elle, endormie sur le plancher frais, les deux femmes l’ont laissée dormir là. Quand je suis rentrée, j’ai vu la fillette d’à peine 3 ans couchée sur le plancher, couverte d’un foulard, et c’est alors que Nathalie m’a expliquée toute l’histoire. Elle est ensuite sortie à son tour, et je suis restée dans la cuisine toute seule à regarder la petite Mariam (pour voir des photos de la petite Mariam qui dort sur le plancher de la cuisine, c'est ici, ici, ici, ici, ici et ici).

J’ai alors essayé d’imaginer une situation semblable au Canada. Ce qui m’amène à dire que la façon dont on élève les enfants en Afrique et la façon dont on élève les enfants au Canada sont à 100 mille lieus l’une de l’autre. En Afrique, quand un enfant naît, il appartient dès lors non pas à ses deux parents, mais à la société. Ainsi, il n’est pas rare de voir un enfant d’à peine 3 ans, comme la petite Mariam par exemple, se balader seul, ou avec des enfants plus âgés, dans la rue, sans adulte tout près. Ce n’est pas que les adultes africains ne tiennent pas à leurs enfants ou sont complètement insouciants. C’est qu’en fait, l’éducation de chaque enfant est de la responsabilité de chaque personne du quartier. Chaque adulte d’un quartier a la responsabilité d’inculquer aux enfants qui s’y promènent les bonnes manières. Chaque adulte d’un quartier a le droit de gronder un enfant qui aurait fait un mauvais coup. Et plus souvent qu’autrement, ce sont les enfants eux-mêmes, entre eux, qui se dictent ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire, et qui se grondent. Au bout du compte, chaque enfant acquière non pas des valeurs particulières à ses parents, mais plutôt les valeurs que partage toute une société.

Ainsi, il était tout-à-fait normal pour Mme Coulibaly et sa soeur de laisser la petite Mariam dormir sur le plancher de notre cuisine. Quand la petite s’est réveillée, elle était un peu perdue dans cette cuisine à laquelle elle n’est pas habituée. Je suis donc allée la reconduire chez elle, de l’autre côté de la rue.

Quand même, je savais que même si la petite se réveillait en mon absence, elle saurait retourner chez elle. C’est que les enfants maliens acquièrent très jeunes une grande maturité. Très tôt, ils apprenent à se débrouiller. Ils apprennent à cuisiner, à nettoyer la vaisselle et les vêtements. Et il est normal pour les aînés de s’occuper des plus jeunes. Paradoxalement, alors que les enfants maliens me semblent souvent très matures, ils sont également très obéissants. L’hiérarchie, je l’ai écrit déjà, est fort importante, ici. Si ça a quelques mauvais côtés, ça a également l’avantage que, quand un adulte parle, les enfants écoutent. En tous cas la plupart du temps. Ainsi, si je suis fatiguée de voir des enfants jouer sur ma terrasse, je n’ai qu’à dire un peu fermement “Maintenant, c’est assez, vous partez jouer ailleurs” et tout le monde obéit et part s’amuser ailleurs.

Il est vrai tout de même que, quand les enfants se retrouvent en grand nombre chez nous, il peut arriver que je perde le contrôle et que la situation dégénère. Il y a quelques temps, par exemple, alors que près d’une vingtaine d’enfants s’étaient retrouvés sur ma terrasse, deux petites filles ont commencé à se battre et il a fallu l’intervention de quelques voisins pour les séparer et faire sortir tout le monde. De la même manière, en fin de semaine dernière, quand un petit garçon a mis le feu aux déchets près de chez moi, c’est un voisin qui est entré sur la terrasse et qui a frappé les enfants avec un bâton pour les faire sortir.

Dans un tel cas, j’ai trouvé la méthode un peu exagérée. Mais la fessée, au Mali, est normale et largement acceptée. C’est pourquoi d’ailleurs, quand les enfants se grondent, ils se frappent également, en général. Et quand l’un deux fait un mauvais coup, il arrive qu’ils me demandent de le frapper. Mais chez nous, ils savent maintenant qu’il est interdit de se battre et qu’il est interdit de frapper. Nous sommes au Mali d’accord, mais nous ne sommes pas dans l’obligation d’adhérer à toutes ses traditions !

mercredi, novembre 08, 2006

Deux poids, deux mesures

Hier après-midi, chez ONUSIDA, nous avons reçu plus de 500 exemplaires d'un rapport qui fait plus de 600 pages. Le tout est arrivé dans 3 boîtes de près de 400 kilos chacune. Chaque boîte est arrivée à Bamako par avion depuis Genève, où se trouve le siège d'ONUSIDA. J'imagine qu'à Genève, ils ont utilisé des "lifts" pour déplacer les boîtes. Mais quand les 3 boîtes de 400 kilos sont arrivées chez ONUSIDA, c'est à bras d'homme qu'il a fallu les sortir du camion ! Ils imaginaient quoi, là-bas, à Genève ? Que nous sommes équipés, ici, comme eux peuvent l'être ?! Ce sont donc le chauffeur, le commis, l'agent de sécurité et quelques jeunes qui étaient là dans les parages qui ont aidé à sortir les boîtes. En tout, elles font plus d'une tonne ! J'imagine que, ce matin, quelques-uns parmi eux ont un vilain mal de dos ! Sans compter qu'ils auraient pu se blesser et se faire franchement très mal !

Maintenant, les 3 boîtes traînent dans le stationnement depuis hier, et on cherche un moyen de tout déplacer sans que tous les employés d'ONUSIDA se retrouvent avec un tour de reins !

De la poussière et des gens

Récemment, Nathalie et moi discutions tranquillement avec David et un voisin. Quand ce dernier m’a demandé ce que j’aimais le moins de l’Afrique, spontanément, j’ai répondu “la poussière”. La poussière, au Mali, est partout. Bamako est la capitale du pays et pourtant, la plupart des rues de la ville ne sont pas goudronnées. Même les rues qui le sont ne sont pas bordées de beaux trottoirs de béton. Elles sont plutôt bordées de trottoirs de terre. Quand les femmes balaient avec leur petit balai fait de bouts de paille, j’ai souvent l’impression qu’elles soulèvent la poussière davantage qu’elles la poussent. Comme la pluie est très rare dans la région, alors que le Sahara est tout près, la verdure aussi est rare. Là où l’on trouverait, au Canada, de beaux terrains couverts de gazon et de fleurs, on retrouve, à Bamako, du sable au travers duquel pousse, de peine et de misère, quelques arbustes. Au bout du compte, l’air même de Bamako est saturé de poussière. Ainsi, même si le rhume que j’ai attrapé à mon arrivée ici est guéri depuis longtemps, j’éternue fréquemment, le nez rempli de poussière. Quand j’arrive au centre-ville, mes yeux remplis de poussière se mettent à piquer. Quand j’ose me balader en sandales, c’est sur mes pieds que se retrouve la poussière. Et quand je transpire le moindrement, ce qui arrive fréquemment compte tenu de la chaleur ici, la poussière colle à ma peau et à mes vêtements. Tous mes souliers sont d’ailleurs recouverts d’une mince couche de poussière rouge, puisque la terre malienne est rouge, et non pas brune comme au Canada. À l’appartement, on réussit avec difficulté à garder le plancher propre. Et même si on gère assez bien les allées et venues, même si on ne se promène jamais en souliers dans la maison, il faut nettoyer le plancher toutes les semaines. Chaque fois que je nettoie les rares meubles de la maison, c’est toujours une épaisse couche de poussière qui se retrouve sur ma guénille. Au bout du compte, il est difficile, je trouve, de se sentir complètement frais et propre dans un pays où la poussière est ainsi omniprésente…

Le même voisin m’a demandé ensuite ce que j’aimais le plus de l’Afrique. Spontanément, j’ai répondu “les gens”. À Bamako, il y a des gens partout, tout le temps. Les boutiques et les petits commerces sont tous situés de chaque côté des rues, et chacun travaille à l’extérieur, comme il fait toujours beau. Le couturier, le mécanien, l’épicier, la cuisinière, le pharmacien, l’ébéniste, le forgeron : tous ces gens qui possèdent de petits commerces travaillent généralement dehors, sur le trottoir. Quand je suis sortie vendredi soir dernier, j’ai pu constater, à mon retour, que même la nuit, des gens dormaient sur le trottoir, des gardiens notamment, bien cachés sous leur moustiquaire. Ainsi, quand on circule en ville, on voit des gens partout.

Et peu à peu, je deviens une habituée de certaines artères. Peu à peu, j’apprends à connaître la vendeuse de bananes, la vendeuse de cacahuètes, l’épicier ou le photographe. Peu à peu, les occasions de saluer l’un ou l’autre en revenant du travail augmentent. Et au Mali, les gens semblent prendre plaisir à fraterniser. Il est d’ailleurs normal, ici, de prendre plusieurs minutes, chaque matin en arrivant au travail, pour saluer chacun et chacune : “Bonjour, ça va ?

-Ça va, et toi, ça va ?
-Ça va…
-Ah bon… Alors ça va ?
-Ça va… Et la soirée, c’était comment ?
-Ah, ça va, ça va… Et la santé ?
-Ça va… Et la famille ?
-Ça va, ça va… Et les enfants ?
-Ça va…”

Et je ne caricature pas ! Il est très fréquent que, dans une même conversation, on me demande au moins 3 fois comment je vais ! Il m’arrive parfois d’être un peu pressée de me mettre au travail le matin. Mais de façon générale, j’apprécie que les gens de mon entourage s’intéressent à moi et prennent le temps de me saluer. Ainsi, dans un pays comme le Mali, et c’était vrai également quand j’étais au Burkina, on se sent presque jamais seul. Quand, le soir, je me retrouve à la maison, je n’ai qu’à sortir ma chaise dehors, près de la rue, pour que des enfants des environs ou des voisins viennent s’asseoir et discuter un peu avec moi. Et contrairement à ce que chante Lynda Lemay dans sa chanson “Maudite visite!”, la visite, ici, n’est pas un fardeau. Comme les gens ont l’habitude de travailler à l’extérieur, la présence d’un visiteur ne les empêche pas de vacquer à leur occupation et de travailler. Il suffit d’offrir un peu d’eau à boire, et tout le monde sera content, sans rien demander de plus. Quand j’ai quitté le Burkina, c’est d’ailleurs l’omniprésence des gens partout autour de moi qui m’a le plus manqué. Et je sais déjà que c’est ce qui me manquera le plus du Mali…

mardi, novembre 07, 2006

Le soleil se couche sur Bamako

Il faut croire que je me promène rarement le nez en l’air, car c’est seulement en fin de semaine dernière que j’ai réalisé qu’il était possible de monter sur le toit de la maison où j’habite. Dimanche soir dernier, je suis donc montée là-haut photographier un coucher de soleil malien. Pour les photos, c’est ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici et ici.

Samedi soir sur la terre

Samedi dernier, dans l’après-midi, j’étais assise tranquillement sur la terrasse de mon appartement, quand 4 petites filles sont arrivées. Je ne les avais jamais vues, mais elles m’ont dit qu’elles habitaient tout près, sur la route asphaltée (goudronnée, comme on dit ici), au bout de ma rue. Elles ne parlaient pas très bien français, et je connais très peu le bamanan pour le moment, mais on a réussi à échanger quelques mots, sans être certaines de s’être bien comprises au bout du compte. Un moment donné, elles m’ont demandé si je prévoyais organiser chez moi une soirée. Bon, c’était pas dans mes plans. Comme Nathalie et moi étions arrivées à la maison, plus tôt, les bras chargés de sacs d’épicerie, j’ai pensé que c’était peut-être ce qui leur avait fait imaginer qu’une fête se préparait chez moi. J’ai dit “Non, on ne prévoit pas de fête pour le moment.” Alors elles sont parties, en me demandant si je serais à la maison dans la soirée. Effectivement, j’avais prévu passer la soirée tranquillement à la maison.

Le soir venu, des garçons du voisinage sont venus faire les clowns sur notre terrasse, comme ils en ont l’habitude. Quand Nathalie et moi avons sorti nos appareils-photos, ils se sont bien amusés (quelques photos de nos petits voisins ici, ici, ici, ici, ici, ici et ici). Puis les petites filles avec qui j’avais discuté dans l’après-midi sont arrivées, cette fois bien changées, et équipées d’une trousse de maquillage, d’une radio et de cassettes. Les garçons avaient été bien excités par la séance de photographie, ils étaient devenus intenables, alors David, notre gardien, leur a dit de partir, que c’était maintenant le tour des filles. Avec des filles sur la terrasse, c’était beaucoup plus tranquille, en effet. Chacune a mis du rouge à lèvres, du eye-liner et du mascara. L’une d’elles a même maquillé son front, à la manière des femmes touaregs. Puis Mâh, une adolescente du voisinage, est arrivée avec des amies et les a aidées à bien se maquiller (des photos des petites filles ici et ici).

Ces petites filles âgées d’à peine 10 ou 11 ans avaient maintenant l’air de petites femmes qui cherchaient à mettre en valeur tous leurs atouts. D’ailleurs, il semble qu’effectivement, les petites filles qui se maquillent ainsi ne le font pas toutes innocemment, pour jouer seulement. C’est vrai surtout pour les petites filles des familles les plus pauvres, où c’est parfois les mamans elles-mêmes qui encouragent leur petite fille à sortir avec des amies, à faire des soirées et, surtout, à se trouver un copain. Certaines mamans vont même jusqu’à payer un certain montant d’argent pour permettre à leur fille de participer à ces soirées et d’être ainsi incluses dans le groupe de petites filles à peine pubères déjà prêtes à séduire les hommes. Pour certaines, toutefois, la fête se termine trop tôt quand, à peine âgées de 14 ou 15 ans, elles se retrouvent enceintes d’un premier enfant… Comme quoi, l’hypersexualisation des petites filles, ce n’est pas qu’au Québec que ça se passe !

Samedi soir dernier, c’est David qui, finalement, a fait comprendre aux petites filles venues nous visiter qu’aucune soirée n’était à l’horaire chez nous pour l’instant. Elles sont donc reparties avec leurs cassettes, leur radio et la nourriture qu’elles avaient préparée, chercher un autre endroit où faire la fête et séduire les garçons…

lundi, novembre 06, 2006

Des photos de la ville

Samedi dernier, en prenant un taxi pour me rendre à l'épicerie La Fourmi, située à l'autre bout de la ville, j'en ai profité pour faire quelques photos, notamment dans le Grand marché du centre-ville (la qualité des photos est moyenne, mais ça donne une idée de ce à quoi ressemble Bamako) :

Paradoxe malien

Au Mali, tu peux te dénuder complètement la poitrine en plein coeur d’un sotrama où tout le monde est serré comme des sardines, et personne, ni une femme ni un homme, ne va seulement soulever un tout petit peu le sourcil ou détourner son regard pour voir un peu ce bout de peau dévoilé au grand jour, pourtant toujours gardé pudiquement caché chez nous. D’ailleurs, presque tous les jours, quand je prends un sotrama, je vois des femmes sortir sans pudeur un sein de leur chandail pour alléter leur bébé. Et franchement, ça ne fait jamais réagir qui que ce soit.

Par contre, si tu souhaites provoquer un carambolage, il y a rien de tel que de marcher sur le bord de la rue en portant une jupe assez courte pour laisser imaginer qu’un jour peut-être le vent pourra en soulever suffisamment l’ourlet pour laisser entrevoir l’un de tes genoux ! Il semble qu’en effet, une femme respectable, au Mali, ne montre jamais ni ses cuisses, ni ses mollets. Une femme qui, au contraire, porte des jupes qui risquent de dévoiler ses genoux quand elle s’asseoit, peut être considérée comme provoquante.

C’est quand même frustrant de ne connaître ce trait culturel malien que maintenant que je suis débarquée ici avec mes trop nombreuses jupes qui dévoilent mes mollets. En attendant d’aller visiter un peu un couturier, je porte des pantalons surtout. J’évite ainsi de montrer mes jambes de femme, qui sont la source de trop grandes émotions chez les maliens semble-t-il !

dimanche, novembre 05, 2006

Une invitation

Il y a quelques jours, Nathalie et moi avons rencontré un cousin de Kassim. Comme il habite le même quartier que nous, il vient souvent faire un petit tour à la maison, en soirée, question de jaser un peu. Il y a quelques jours, on discutait un peu quand il a mentionné que l'après-midi à venir serait consacré à la distribution de cartes d’invitation, que Kassim devait lui remettre. Tout de suite, Nathalie et moi avons demandé “une invitation pour quoi ?” Mais il est demeuré mystérieux, et il s’est contenté de dire qu’un des cartons d’invitation serait déposé chez nous. On a insisté, on l'a questionné, on l’a harcelé avec nos questions, on a émis des hypothèses (peut-être que Kassim prévoit se marier ? Ou alors, peut-être que Kassim prépare l’inauguration du local de l’entreprise qu’il est en train de créer ?)… Rien à faire ! Il est demeuré muet comme une carpe. Il nous a seulement promis de repasser le lendemain avec le carton d’invitation. Mais le lendemain, il a fait durer le suspens, et il n’est pas passé.

Ce n’est que le surlendemain qu'il a frappé à notre porte, vêtu d’un long boubou fait d’un tissu blanc brodé ton sur ton. Encore une fois, il a fait durer un peu le mystère. On lui a servi à boire, il a mangé un peu… C’est seulement ensuite qu’il nous a dit que sa femme avait accouché d’une fille il y a une semaine, et qu’il distribuait des cartons d’invitation pour le baptême qui aurait lieu dans un mois environ.

Pour le moment, la maman et la petite sont en France. Au Mali, c’est en effet une pratique courante que des femmes, dont la famille en a les moyens, aillent accoucher dans des pays occidentaux, question d’offrir à leur enfant, dès la naissance, la citoyenneté française, canadienne ou américaine par exemple. Mais d’ici un mois, elles seront à Bamako, et le baptême des femmes pourra être célébré.

C’est qu’en fait, il y a dans la religion musulmane le baptême des hommes et le baptême des femmes. Le baptême des hommes est célébré une semaine après la naissance de l’enfant, et il est célébré même en l’absence de l’enfant, comme c’est le cas maintenant, puisque la petite est en France. D’ailleurs, le papa lui-même doit attendre une semaine avant d’annoncer la naissance de l’enfant. C’est pourquoi, d’ailleurs, alors qu’on discutait un peu avec lui il y a quelques jours, il nous a dit qu’il n’avait pas d’enfant, alors que la petite était déjà née. Quand le bébé a une semaine, il reçoit son prénom de l'imam, sorte de prêtre version musulmane. Les plus intégristes laissent à l'imam le choix du prénom, alors que chez les autres, le prénom est une décision du papa et de la maman. Le papa court acheter un mouton, quand il en a les moyens. Les femmes de la famille (les tantes, les soeurs) préparent les plats qui seront distribués par le papa à la famille et aux amis, des hommes essentiellement. Les hommes, quant à eux, se rendent à la mosquée tôt le matin.

Le baptême des femmes, quant à lui, a lieu un peu plus tard, et c’est à ce baptême que Nathalie et moi avons été invitées. Dans ce cas-ci, comme la maman et la petite ne seront pas de retour de France avant quelques semaines, le baptême des femmes risque de tarder un peu. Ça nous laisse donc un peu de temps pour trouver un joli cadeau !

samedi, novembre 04, 2006

Les Américains, des voleurs de femmes ?

C’était juste avant l’heure de quitter le travail, l’heure de la “descente” comme on dit ici. J’étais tranquillement assise à mon bureau, quand j’ai entendu Morgan, un étudiant américain qui fait des recherches sur le SIDA, qui se bidonnait franchement avec Madou et Bruno. Quand Morgan a crié “Johanne ! Viens ici un peu!”, j’ai couru voir un peu ce qui se passait par là. Alors Morgan m’a dit “Tu dois prêter un peu de tes jupes et de tes robes à Bruno !
-Ah ! bon, j’ai dit, et pourquoi ?” Bruno a donc expliqué qu’il aimerait bien un jour visiter un peu les États-Unis, et que le meilleur moyen qu’il avait trouvé pour qu’un jour Morgan l’emmène là-bas, c’était de porter une jupe, de se déguiser en femme, et voilà, c’était vendu. “Après tout, a-t-il dit, c’est comme ça qu’ils fonctionnent, les Américains, non ? Il suffit qu’ils voient une femme ici pour avoir envie de la ramener chez eux!” Ah ! bon ?

Il semble en tous cas que l’idée selon laquelle les hommes américains (et peut-être les occidentaux en général) viennent au Mali pour séduire les femmes déjà mariées soit assez répandue. La première journée où Nathalie s’est rendue à son travail, un homme lui a dit qu’il était bien content qu’elle ne soit pas américaine. Il lui a raconté qu’un jour, il avait hébergé pendant plusieurs semaines un Américain chez lui. Quand ce dernier est retourné chez lui, aux États-Unis, la femme du monsieur a quitté la maison à son tour, sans expliquer où elle allait. Ce n’est que longtemps plus tard qu’il a su qu’en fait, sa femme était partie rejoindre l’Américain qu’il avait hébergé pour vivre avec lui aux États-Unis. “Depuis, a-t-il conclu, je déteste les Américains.”

Étrangement, on m’a dit que les femmes maliennes se méfiaient également beaucoup des femmes toubabs. Comme les maliens, les maliennes semblent redouter qu’un jour, l’une de ces femmes blanches venue d’ailleurs reparte accompagnée de leur mari. Je ne sais pas d’où vient exactement cette méfiance envers les blancs, surtout que les couples mixtes, au bout du compte, sont très rares ici. Mais une chose est sûre, ça rend parfois un peu difficile l’amitié avec les femmes du pays.

vendredi, novembre 03, 2006

L’heure de la prière

Hier soir, je devais assister à la projection d’un film en plein air pour mon travail. L'équipe du Cinéma numérique ambulant (le CNA) se promène de village en village, et dans différents quartiers de Bamako, pour présenter des films de fiction et des films de sensibilisation (certains des films présentés ici, ici et ici). Comme certains de ces films portent sur le SIDA, il serait peut-être intéressant pour l'ONUSIDA de collaborer davantage avec le CNA.

J’ai invité Madou, un collègue de travail, à m’accompagner à la projection du film. Comme il m’aide beaucoup à me retrouver dans le quartier où j’habite, je voulais un peu lui rendre la pareille. Je l’ai donc aussi invité à souper avant le film. On a quitté le travail ensemble et, du centre-ville, on a pris un taxi jusqu’au quartier Kinzanbougou, où était projeté le film (les spectateurs ici et ici). Une fois là-bas, on a cherché un peu le terrain de football où devait être installé l’écran géant (ici, ici, ici et ici). Quand enfin on l’a trouvé, Madou a suggéré qu’on s’asseoit un peu sur un banc tout près. “Bon, j’ai dit, pourquoi pas…” Mais j’avais faim. J’ai attendu un peu, puis j’ai dit “Bon, on va manger ?” Seulement, Madou m’a répondu “Attends…” Bon, d’accord. J’ai attendu. Et attendu. Puis j’ai dit “Madou, tu veux pas manger maintenant?” Simplement, il m’a répondu “Je vais te dire quand je serai prêt…” Alors on est restés assis comme ça sur le banc. J’avais faim, et je devenais un peu impatiente. Je voyais l’heure avancer, et j’espérais bien manger avant le début du film. Plutôt, Madou m’a dit “C’est pas la dame responsable du cinéma ambulant, là-bas ? Tu veux pas qu’on aille lui dire bonsoir ?” Bon, j’avais pas trop envie, surtout que j’avais prévu la voir plus tard de toutes façons, mais j’ai dit “Bon, ok.” On est allés voir la dame, et quand on est revenus à notre petit banc, un monsieur était assis là, en train de laver son visage, ses mains et ses pieds avec de l’eau qui se trouvait dans un contenant de plastique comme on en voit beaucoup ici et qui ressemble à une théière. Madou m’a dit “Il fait ses ablutions” et j’ai dit “Oui, oui, les ablutions avant la prière, je connais”. C’est alors que Madou m’a tendu son téléphone et tout ce qu’il avait dans les poches, puis il m’a dit “Attends, je reviens”. Il est allé emprunter la théière de plastique au monsieur, il a fait à son tour ses ablutions, et il est allé prier, quelques minutes, avec 2-3 hommes qui avaient étendu, déjà, leur tapis de prière sur le sol entre deux boutiques. Ensuite il est revenu, et seulement alors, on a pu partir manger.

Pour une raison que j’ignore, les Maliens n’aiment pas toujours expliquer pourquoi ceci, ou pourquoi pas cela. Il faut souvent deviner, lire entre les lignes, voire parfois ne pas chercher à comprendre. Madou m’avait dit déjà que, tous les soirs, au retour du travail, il allait prier vers 18h30, et qu’ensuite seulement il mangeait. Mais hier soir, c’est seulement après que j’ai vu Madou prier que j’ai compris pourquoi on n’avait pas mangé plus tôt…

jeudi, novembre 02, 2006

La campagne nationale de lutte contre le VIH-SIDA

Au travail, cette semaine, j’ai dû embrayer un peu et augmenter la cadence. C’est que le premier dossier sur lequel je dois travailler est limité par de très courts échéanciers. À la fin des années 1980, le 1er décembre a été nommé Journée mondiale de lutte contre le VIH-SIDA. Au Mali, depuis 2001, c’est tout le mois de décembre qui est consacré à la lutte contre le VIH-SIDA. Chaque année a donc lieu une campagne nationale au cours de laquelle, durant tout le mois de décembre, de nombreuses activités sont organisées afin de sensibiliser la population à la maladie. Décembre, c’est dans à peine un mois. Et il est certes très important que l’ONUSIDA participe à la campagne.

Dans le cadre de la campagne, un salon sera organisé, les 1ers et 2 décembre. Il y aura là des kiosques et des salles de conférence, et mon patron aimerait que de nombreuses organisations du Système des Nations unies (SNU), coordonnées par l’ONUSIDA, soient représentées à ce salon. Cet après-midi, je rencontrerai donc des représentants de toutes les agences du SNU présentes à Bamako. Ces représentants ont la responsabilité d’insérer la thématique du VIH-SIDA dans les travaux de leur agence respective. Ces agences sont notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’UNESCO, le Bureau international du travail (BIT), le Programme alimentaire mondial (PAM), l’UNICEF, etc. Chacune poursuit une mission différente, chacune a des objectifs nombreux et variés, chacune est sans doute surchargée de projets divers. Je devrai, pour ma part, convaincre chaque personne présente de l’importance de consacrer quelques ressources matérielles, humaines et financières à la participation du SNU au salon du début de décembre.

Je serai chargée d’animer la réunion de cet après-midi, ce que je redoute un peu, je dois l’avouer. À la fois les Africains et les Européens aiment beaucoup palabrer. En Afrique, et dans une moindre mesure en Europe, on accorde moins d’importance à l’efficacité et à la productivité qu’en Amérique du Nord. On met d’abord l’emphase sur les relations, ensuite vient le boulot à accomplir. Mais de mon côté, j’ai un ordre du jour très chargé, au travers duquel je dois passer en à peine deux heures. Comment en venir à bout sans agir d’une façon qui pourrait choquer des gens pas nécessairement habitués aux manières parfois un peu brusques des Canadiens ? En outre, j’ai un mal fou à retenir le nom des gens depuis que je suis ici. Trop de nouvelles personnes m’ont été présentées dans un trop court laps de temps. Et puis j’ai parfois l’impression qu’alors que 50% des Maliens portent un nom qui se termine par “ou” (Amadou, Astou, Mamadou, Maïmounatou), les autres 50% portent un nom qui se termine par “a” (Lalla, Adama, Leïla, Baba, Tiba, Kadidia), ce qui rend les choses encore plus confuses. Pourtant, je me vois mal demander son avis à Monsieur Chose, ou donner la parole “à la petite madame là-bas au fond”.

Par ailleurs, il est connu que, en Afrique, on accorde une grande importance à la hiérarchie. Ainsi, plus une personne est âgée, plus elle est crédible. Si en plus elle est un homme, c’est plus facile encore. En tant que femme et en tant que personne relativement jeune, je dois donc affronter deux difficultés afin de bien asseoir ma crédibilité face à tous ces gens qui participeront à la réunion, c’est-à-dire mon sexe, et ma jeunesse. Voilà donc toutes sortes de petites difficultés qui font que j’ai très hâte de voir comment va se dérouler la réunion. Je ne m’attends pas à un fiasco, mais j’espère en tous cas arriver à quelques résultats.

Dans le meilleur des mondes, la réunion sera terminée à 16h30. Dans le meilleur des mondes, la plupart des personnes présentes auront adhérer au projet. Dans le meilleur des mondes, chacune sera prête à y consacrer l’énergie nécessaire. Dans le meilleur des mondes… On verra bien !

mercredi, novembre 01, 2006

Le baptême de Simone

Le duo Amadou et Mariam chante que les dimanches à Bamako, c’est jour de mariage. En fait, c’est à la fois les jeudi et les dimanche surtout que l’on célèbre ici, non seulement les mariages, mais également les baptêmes. Et l’un et l’autre sont toujours de grandes fêtes auxquelles on invite beaucoup de monde, généralement la famille entière, mais également les collègues de travail. C’est ainsi que je me suis retrouvée, dimanche dernier, au baptême de Simone. Âgée d’à peine trois semaines, elle est la petite dernière du chauffeur d’ONUSIDA, Bruno-Michel, qui est aussi le papa de Gilbert et de Marie-Jeanne (une photo des parents et de la petite ici).

Bruno-Michel fait partie de la petite minorité de chrétiens au Mali (ils sont en fait 5%, contre 95% de musulmans). C’est donc à l’église du Centre Père-Michel que je me suis retrouvée, à 8h pile dimanche dernier, pour assister à la célébration du baptême. La cérémonie religieuse, très semblable à un service religieux canadien, avec la quête, les prières, la communion, etc. ne m’a pas trop dépaysée. Ce sont surtout la température dans l’église (un four !) et la chorale qui m’ont rappelée que j’étais en Afrique. En effet, la chorale était accompagnée par la musique des djembés et, plus on approchait de la fin de la cérémonie, plus l’assistance tapait des mains. La chorale a aussi dansé un peu, en formant un cercle autour de la petite Simone, de ses parents et de ses parrain et marraine. Ça faisait penser un peu à du gospel, avec tout de même un peu plus de retenue.

Une fois la cérémonie religieuse terminée, tous les invités se sont retrouvés dans la cour où habite Bruno-Michel et sa famille, à l’ombre des cocotiers et d’une grande tente louée pour l’occasion. Et au fond, quand il est question de fêter, c’est du pareil au même, que l’on soit au Canada ou au Mali : tout le monde sort ses plus beaux habits, se coiffe, se maquille et se parfume, on sert des hors-d’oeuvres, puis on mange, beaucoup, souvent trop, on boit, les enfants s’amusent, dansent un peu, puis peu à peu les adultes se mêlent aussi à la danse, les monsieurs taquinent les petites filles, on offre des cadeaux, les gens s’amusent, ils sont contents de se voir… Là où ça change, c’est dans les détails, surtout. De beaux vêtements au Mali, ce sont souvent des vêtements faits de bazin. Alors que les femmes ont l’habitude de maquiller leurs sourcils pour les épaissir de façon presque caricaturale, les hommes portent des habits veston-cravate (souvent sans la cravate à cause de la chaleur) ou des boubous. Comme j’étais invitée dans une famille catholique, on a servi un peu de bière, du cinzano et du pastis. Mais les musulmans généralement ne boivent pas, et comme ils étaient nombreux parmi les invités, l’alcool ne coulait pas à flots. Franchement, ça a au moins l’avantage de conserver à la fête son caractère bon enfant. Quand est venu le moment de manger, on a servi du riz au gras (essentiellement du riz cuit dans l’huile auquel on mélange un peu de viande de mouton) dans de grands plats de plastique posés à même le sol, et en groupe de 4 ou 5 personnes, on a mangé dans le même seau posé par terre, avec la main droite. Un peu plus tôt, on avait fait circulé des seaux d’eau dans lesquels tout le monde s’était lavé les mains. Comme j’ai pas trop la méthode pour manger avec la main, on m’a gentiment prêté une cuillère.

Ensuite est venu le thé. Ah, mais là, avis aux intéressés : quand on accepte un premier thé, il faut s’assurer d’avoir beaucoup de temps devant soi. En effet, on sert toujours trois thés, et il est, paraît-il, fort impoli d’en prendre un sans prendre les trois. Mais ce qu’il faut surtout savoir, c’est qu’entre le service de chaque thé, il faut compter près d’une heure. On dit du premier qu’il est amer comme la vie. Il est en fait à la fois très amer et très sucré. On dit du second qu’il est fort comme l'amour. Enfin, on dit du troisième qu’il est doux comme la mort. Effectivement, le troisième thé a perdu toute amertume et n’a gardé que son goût très sucré. On le sert dans de tout petits verres, ce qui donne pour chacun une petite gorgée. C’est toujours un homme qui prépare le thé, dans une toute petite théière bleue. Il le fait bouillir sur un petit tas de charbon déposé dans un contenant en broche, et il s’assure ensuite de bien le faire mousser, en le versant de très haut.

Comme j’étais la seule blanche là-bas, ou presque, j’ai bien sûr un peu attiré l’attention, malgré moi. Quand on est une minorité visible, c’est presque inévitable. Ainsi, qui, pensez-vous, s’est retrouvée avec, autour du cou, le piton qu’élève Alain, le frère de Bruno ? Moi, bien sûr ! On s’est assuré d’immortaliser le tout, mais une fois la photo prise, je vous jure, je me suis dépêchée de retirer la bébitte de sur mes épaules, même si mon patron, qui est médecin, m’a bien assurée qu’un piton n’était pas venimeux du tout. Tout le monde a bien ri, mais je suis sûre qu’ils auraient tous été aussi effrayés que moi s’ils s’étaient retrouvés avec un serpent comme ça autour du cou…

J’ai finalement quitté la fête vers 15h, après avoir bien mangé, trop mangé. La petite Simone, quant à elle, dormait depuis longtemps, bien attachée sur le dos de sa grand-maman.